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éléments lui ayant manqué durant sa jeunesse. Il m’a dit que toute son ambition était d’arriver à comprendre et à réciter le bréviaire. Je vois de temps en temps la princesse [1]. Elle est fort intéressante et érudite, pour une femme. » (8 avril 1868.)

Du 14 décembre suivant :

« Charles Gounod est arrivé il y a deux jours, et m’est venu voir au débarqué. Nous avons été ensemble faire visite à Liszt, qui va quitter Rome dans un mois pour rester quelque temps à Weimar. Dieu veuille que se dilatant comme musicien dans cette atmosphère allemande, il n’y perde rien comme chrétien. » Quelques jours après : « Je vois souvent mon cher Gounod ; sa santé est meilleure et son âme est toute bonne, partant tout heureuse. »

Ainsi toujours, dans le cœur du prêtre, le souci de l’âme de ses amis remportait sur le soin de leur gloire. Celle-ci pourtant lui demeurait chère, alors surtout, (c’était le cas de Gounod à cette époque-là), qu’elle pouvait se rapporter à celle de Dieu.

27 décembre 1868. — « Je vois beaucoup Charles, qui va bien. Avant-hier, il est venu avec nous et m’a servi la messe. Le voilà tout à fait lancé dans son grand ouvrage ; si grand, qu’il n’estime pas le pouvoir achever avant deux ou trois ans. Il en a fait le premier morceau, qui est considérable ; il l’orchestre ces jours-ci et le terminera sous peu. Il me l’a fait entendre : c’est magnifique, et encore qu’il s’y soit donné à résoudre un problème musical extrêmement compliqué, il y a si bien réussi, que cette très savante contexture ne sert plus qu’à accentuer davantage l’expression et à mieux accuser la pensée principale. On a, en somme, l’impression d’une musique très simple, très limpide... [2]. L’oreille ne fait que la transmettre à l’âme, laquelle en demeure émue, recueillie et élevée. Je suis heureux, à plusieurs titres de cette entreprise et de ce premier succès. Outre le bien manifeste que l’occupation habituelle d’un sujet tout chrétien doit faire à l’âme de Charles, une telle œuvre ajoutera beaucoup à ses titres de musicien. »

Une autre lettre nous donne le nom de cette œuvre :

« Samedi dernier, je suis allé à Sainte-Cécile. J’ai dit la messe sur le tombeau de la sainte, et Charles, qui me la servait,

  1. La princesse Wittgenstein.
  2. « Le musicien limpide, lou mousicaire linde. » C’est de ce nom que Mistral, un jour, appela Gounod.