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la Vérité me devienne la Vie, par cette incarnation en nous qui seule peut nous sauver en nous faisant membres du Sauveur. »


Gounod décidément, le Gounod d’alors, ne respire plus que du côté du ciel. Chacune de ses lettres est un hymne, j’allais dire un » acte » de foi, d’espérance et d’amour. Dans l’ordre religieux, mystique même, l’ensemble de sa correspondance donne l’impression de ce qu’on appelle, en langage de musiciens, une « reprise, » ou mieux encore une « rentrée. » A son ami qui vient d’être nommé évêque, (1877), il écrit :

« Grande, grandissime a été ma joie en apprenant que le Vicaire de la vérité venait de faire évêque, par le titre et par le pouvoir, celui que la Vérité elle-même avait depuis longtemps fait évêque par la science et par la vertu. Mon Charles Gay évêque ! Je reçois cette nouvelle comme une grâce propre et personnelle, dans l’esprit où tu la reçois et la bénis toi-même, comme le don spécial d’une famille spirituelle à toi dans notre chère grande famille, l’Eglise universelle. Oh ! que mon cœur est près du tien dans cet honneur et dans cette joie !...

« Combien d’âmes à entretenir dans la foi, outre celles qu’il faut y réveiller, y engendrer, y ressusciter ! »

L’approche de la vieillesse et la vieillesse même ne refroidit point en l’un et l’autre cœur une si fervente et si belle amitié. Les peines et les joies, l’art et la foi, tout leur demeura commun jusqu’au temps où, presque ensemble, ils cessèrent de battre. Le prêtre, surtout l’évêque, ne laissa pas d’avoir un jour, (en 1882), à souffrir persécution pour la justice. Gounod aussitôt de lui écrire : « Je viens d’apprendre la disgrâce dont tu viens d’être honoré. Je te sais et te sens fort au-dessus de ces nuages, dans un bleu que leur confusion est de ne pouvoir troubler ni ternir... J’ai voulu seulement te dire ce que saint Denis l’Aréopagite écrivait à saint Jean : « Quant aux maux qu’ils veulent vous faire, vous les sentez, mais vous n’en soufrez pas. » Les saints ont les épaules fortes ; cela attire les fardeaux. »

Mais les forces physiques de Mgr Gay n’égalaient pas sa force d’âme. Malade, il reçoit de Gounod ce billet : « Très cher ami, je te sais éprouvé par ton état de santé. C’est te dire que je pense à toi plus encore que de coutume. Mais l’existence ne permet pas à la vie de se témoigner comme elle le voudrait.