Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vie unit et parle, l’existence divise et jacasse. Aussi l’enverrons-nous promener avec la mort. » Jusqu’à la mort encore une fois, la vie, et la vie artistique, musicale, autant que la vie spirituelle, unit les deux amis ; en leurs moindres propos elle parle. Aussi bien, dans l’âme sacerdotale, la musique jamais ne se tut. Elle aidait même parfois l’inspiration et l’éloquence du prédicateur. Un jour de janvier 1883, au Carmel de Niort, Mgr Gay préparait un sermon pour le lendemain. Après avoir relu des notes anciennes dont il comptait se servir, il me parut, écrit-il, « que mes pensées d’il y a vingt ans n’étaient plus le vrai mot, le mot actuel du moins, de mon âme, et comme c’est l’âme qui prêche, je me disais que, pour pouvoir monter utilement en chaire a quatre heures, il faudrait transformer ce travail d’autrefois.

« Or, imaginez qu’en assistant à la grand messe, où l’on fit d’excellente musique... j’entendis chanter à l’élévation un O Salutaris fort bien écrit et d’une grande expression. C’était contre les règles, mais on n’avait pas pu faire autrement par des raisons de convenance. Pendant que j’écoutais cela plus au dedans qu’au dehors, les paroles s’ouvrirent, pour ainsi parler, devant moi et je vis, dans ces quatre vers, tant et de si belles doctrines, que je fus comme poussé à les prendre pour thème de mon sermon. »

Jusqu’à la fin, rien de l’œuvre de Gounod, de son œuvre désormais toute religieuse, n’échappe à son ami.

Du 21 mai 1883 : « Charles Gounod... nous a dit de nouvelles compositions, qui m’ont touché aux larmes. Sa flamme n’est guère diminuée et je ne crois pas qu’il ait jamais rien composé de plus grand que le Sanctus de sa dernière messe. »

L’année suivante : « Je connais en grande partie la Rédemption de notre Charles Gounod et je l’estime un chef-d’œuvre. J’ai eu l’occasion d’en entendre une exécution partielle, assez satisfaisante... Il y a seize ans déjà qu’à l’Académie française de Rome, Charles me jouait la Montée au Calvaire et les premiers chants de la Pentecôte. »

Aux félicitations de l’évêque, le musicien répondait : « Que je suis heureux de l’impression que t’a produite Rédemption ! Où donc peux-tu bien l’avoir entendue ? [1] Tu ne m’en dis

  1. C’était au collège Saint-Elme, d’Acrachon.