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rien ; mais, en dépit de ce que ton sens de la musique est très capable de te faire sentir et comprendre à travers une exécution imparfaite, je regretterai toujours quo tu n’aies pas eu l’occasion, (j’ose presque ajouter la joie), d’assister à une exécution comme celle que j’ai dirigée en Angleterre ou au Trocadéro, dans les conditions monumentales que comporte et requiert l’ouvrage pour qu’on s’en puisse faire une idée exacte.

« Quant à Mors et Vita, c’est achevé et je vais livrer ma partition en octobre. Tu me demandes si cela vaut Rédemption ? Eh ! cher ami, Dieu seul le sait. Tout ce que je puis t’en dire, c’est que je l’ai écrit avec la même foi et le même amour pour ce dont j’y parle... »

Six ans après, en 1890, l’avant-dernière année de sa vie, Mgr Gay fut sollicité par Gounod d’être son collaborateur. « Tu sais que la composition théâtrale est depuis longtemps finie pour moi. Mais un rêve vient de me traverser l’esprit, c’est d’écrire une sorte de diptyque musical, à la façon des tableaux des primitifs, sur saint François d’Assise. Je voudrais que le premier des deux morceaux fût la traduction musicale du beau tableau de Murillo représentant le Crucifié qui se penche vers saint François et lui passe le bras autour du cou. Le second serait la traduction de l’admirable tableau de la mort de saint François entouré de ses religieux.

« Je ne sais qu’une âme en état d’écrire les vers de ces deux poèmes sublimes : c’est celle de mon saint ami. Mais est-ce que je vais oser le lui demander ? »

Le « saint ami » commença par se récuser et par conseiller au musicien d’être son propre poète, comme il l’avait été en composant Rédemption. Gounod de répliquer aussitôt :

« En vérité, tu me fais plus d’honneur que je n’en peux porter. Je vais pourtant commencer par t’obéir ; mais, si cette obéissance est stérile, il faudra bien que je frappe de nouveau à la porte de ton trésor. Je vois bien que j’ai plus l’émotion de ce qu’il faut que je n’en ai les termes suffisants. Il y a là une nécessité de langage mystique qui touche au ravissement, à l’extase. C’est presque de l’ineffable.

« Or tu es un de ceux qui entendent l’ineffable ; c’est pourquoi j’ai eu recours à ton entremise. J’avais bien le plan que tu indiques et qui me semble le seul vrai et possible. Mais les mots ! les mots tombes de là-haut ! Et ceux qui vont presque