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là-haut ! C’est là ce dont je me sens misérablement loin. »

Mgr Gay finit par se rendre. « Une nuit, écrit-il [1], une nuit où je ne dormais guère, je fus hanté par cette première scène, (Jésus embrassant saint François d’Assise), et je composai tout le petit poème qui me semblait convenir... Avant-hier j’ai été voir mon ami Gounod... Il s’était déjà mis à l’œuvre, s’étant formé un plan un peu différent et plus vaste ; puis, sentant venir la musique, il avait fait une partie des paroles. Cette musique est, à mon sens, admirablement réussie et les paroles suffisent... Je lui ai fortement conseillé de s’en tenir à son inspiration et de laisser là mes vers, dont il a été content cependant et qu’il a voulu garder. Je ne sais ce qu’il en fera [2], mais enfin j’ai fait acte de bon vouloir et c’est assez. Je suis content de la reprise des relations à laquelle cet incident donne occasion entre le cher ami et moi. Je l’ai senti bien plus chrétien et on ne peut plus affectueux pour moi. »

En 1884, Gounod avait écrit à Mgr Gay : « D’ici peu nous serons là-haut : toi du moins sûrement ; moi, je veux l’espérer. » En 1891, l’artiste n’avait plus que deux années à vivre ; l’évêque, une seule. Cinquante-deux ans plus tôt, Charles Gay, retrouvant Liszt en Italie, parlait de leur amitié désormais « placée au-dessus des chances humaines. » Ce fut plus vrai de cette autre amitié que la mort, — mais elle seule, — était maintenant à la veille de briser ici-bas. Avant de se quitter, pour se rejoindre bientôt, les deux amis pouvaient se rendre un mutuel et tendre témoignage. Généreuses l’une et l’autre, il semble pourtant que l’âme sacerdotale ait été la plus magnifique. Ses dons furent les plus précieux.

Voici la lettre, la dernière, croyons-nous, qu’ait écrite Gounod à son ami, à son frère par l’esprit et par le cœur :

8 août 1891. « Je sens et comprends mieux chaque jour le profond mystère grâce auquel nous sommes nés de nouveau sans avoir été créés de nouveau, et aussi véritablement fils de Dieu par l’Incarnation, que nous sommes fils d’Adam par la génération, ainsi que nous le lisons dans cet incomparable début

  1. 25 décembre 1890.
  2. Gounod fit un petit emprunt à la poésie de Mgr Gay, ainsi qu’en témoigne ce passage d’une lettre de Gounod à l’évêque d’Anthédon (19 janvier 1891) : « ... Dans le premier tableau, j’ai intercalé dix de tes vers, lesquels s’ajustent si naturellement avec les miens, que le tout est d’un ensemble parfaitement un. » (Note du biographe.)