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MA MÈRE. ME VOICI...


Ma mère, me voici dans la petite ville,
Où vous avez jadis veillé sur mon enfance...
Il fait chaud... Je m’assieds au « Café de Provence « 
Et vous écris ceci d’une plume inhabile...

La plume est inhabile où les yeux sont mouillés...
Il me semble depuis hier que mes mains fouillent
Dans quelque vieux coffret, dont les clefs qui se rouillent
Gardent jalousement des secrets plus rouillées...

Je vais le long des murs, j’arrive sur des places
Que je crois retrouver lorsque je les découvre ;
Je me suis rappelé devant u l’Hôtel du Louvre »
L’omnibus qui tintait avec toutes ses glaces.

Je me suis rappelé l’odeur des foins coupés
Dans les longs soirs de juin tout criblés d’hirondelles...
Ah ! tous ces souvenirs que l’on croit infidèles
Et qui restent parmi nos cœurs préoccupés !

Quand j’ai franchi le seuil vert du « Jardin des Plantes, »
L’odeur du buis amer fut pour moi sans surprise,
Et dans mon cœur, devant le porche de l’église,
Les grand messes ont déroulé leurs robes lentes...

Cependant tout n’est pas resté comme autrefois ;
Ces antiques cités ont leur coquetterie ;
On a crépi de neuf le mur de la mairie,
On a pavé la rue Edgar-Quinet en bois...

Les Jésuites ont fait une chapelle neuve ;
Elle est jolie avec ses trois nefs bien construites ;
Mais depuis que l’on a fait partir les Jésuites,
La chapelle fermée est une jeune veuve.