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Des villas ont poussé, un peu de tout côté ;
Il parait qu’on a fait de nouvelles casernes ;
Au lieu du gaz brûlant dans de vieilles lanternes,
La ville est éclairée à l’électricité.

On est en train de démolir le vieux collège
Où j’appris que rosa signifiait : la rose ;
On en a fait un neuf tout pimpant et tout rose ;
Il n’a plus l’air du bon grand père qui protège...



Mais, ma mère, que nous importe ? Nous portons
Cette ville en nos cœurs à jamais identique...
Qu’elle se rajeunisse... Elle est toujours antique,
Puisque c’est en nos yeux que nous la regardons.

N’est-elle pas la ville où vous fûtes ma mère,
Puisque j’étais petit, d’une façon plus tendre ?...
Si je ferme les yeux, ne vais-je pas entendre
Votre voix de jadis en ce soir éphémère ?

Ma mère, vous étiez si jeune en ce temps-là !...
Moi, je ne savais pas le prix de la jeunesse,
Et maintenant, hélas ! que l’affreux temps vous presse,
Je songe, — mais il est bien tard, — à tout cela !

Je songe à ces mélancoliques soirs d’automne,
Quand les vacances d’or avaient fermé leurs portes
Et que sur l’Esplanade au creux des feuilles mortes
Je me grisais déjà de leur air monotone...

Je songe à des matins semblables de juillet
Où mes livres de prix concentraient la lumière ;
Les cigales chantaient... Sur le vieux banc de pierre,
Je posais mon fardeau de gloire et m’asseyais...

Je songe à tous ces longs hivers, lourds d’engelures,
Où quelque toux parfois me tenait à la chambre :
Je respirais, craintif, dans le soir de décembre.
Tout le froid de l’hiver resté dans vos fourrures...