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Si vous étiez ici, ma mère, si ce soir
Nous sortions de l’hôtel tous deux, à la nuit close,
Et dans l’ombre complice, où grandit toute chose.
Si nous marchions, serrés, sur cet humble trottoir,

Nos pas retrouveraient d’eux-mêmes sans surprise
Le fil habituel de la route connue ;
Nous suivrions, pensifs, cette longue avenue,
Où des platanes frais frémissent sous la brise...

Dans un rêve nous nous dirions : « Il est bien tard...
On nous attend autour de la table peut-être...
On guette notre pas peut-être à la fenêtre... »
Les astres couleraient au fil du boulevard...

Mais, comme, en approchant, il n’y aurait personne.
Soudain nous reverrions ces vingt longues années,
Où tant de choses sous nos doigts se sont fanées.
Ce grand espace vide où seul le cœur résonne...

Nous songerions à tout ce passé déchirant,
A ceux qui sont couchés dans l’ombre inanimée.
Et devant la maison dont la porte est fermée,
Nous nous embrasserions tous les deux en pleurant...


EMILE RIPERT.