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massif du Tomor, haute pyramide bleue, reposant sur son double épaulement. Elle regarde, en aval de l’Ossum, cette montagne longue, coupée de ravines régulières, et qu’on dirait découronnée. La légende veut que le dieu Tomor, jaloux de ce voisin, le décapita d’un coup de sabre, et lui infligea ces profondes entailles, — poétique symbole de l’action des terribles orages qui s’amassent sur le Tomor.

La lumière tombante baigne les vieilles murailles et les toits rapprochés de la cité byzantine. Bérat, déjà dans l’ombre, semble s’étirer d’aise à l’approche du crépuscule. Je distingue encore, à l’entrée de la ville, les trois tombeaux pareils, protégés par des arcs de pierre, les tombeaux de trois femmes qu’on enterra vivantes à cette place, dit-on, pour que la forteresse résistât aux injures du temps. Leur supplice n’a pas été vain... la forteresse a tenu... La forteresse a gardé fidèlement la petite cité qui a subi la loi du Basileus, participé de loin à sa grandeur, reçu de sa capitale son goût, son ordre, et, de toute cette magnificence, comme un reflet qu’elle a gardé.

Aujourd’hui nous avons erré dans les temps qui ont précédé l’invasion turque, sans qu’aucune note discordante, aucun rappel de la vie moderne, vint nous éveiller de ce rêve. Demain le hasard du voyage nous emportera au fond d’un passé plus reculé encore,


LE DIEU TOMOR

Au sommet du Tomor. Le départ de Bérat, hier matin, à cheval ; notre caravane traversant la plaine brûlante et franchissant, l’un après l’autre, tous les hauts contreforts escarpés, couverts d’arbousiers, d’arbres de Judée où s’accrochent les vignes sauvages ; et enfin la croupe gigantesque, ces deux mille quatre cents mètres qu’il faut gravir ; la pente pierreuse et raide, et le vent si frais qu’on aspirait comme une gorgée d’eau pure, comme cette eau de source limpide et froide qui réglait nos étapes, l’immense pays bleu déployé d’heure en heure, ! les chaînes se levant les unes derrière les autres, les fleuves qui n’étaient plus que d’étroits sentiers d’azur divaguant dans la plaine blonde, — comme elles sont présentes encore toutes ces images ! Et puis le crépuscule. Cette montagne déserte qui se resserre autour de nous. La pente interminable. La fatigue. Voici dix heures que nous sommes en selle. Nos yeux cherchent le long