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destinée obscure, gravissaient le Tomor afin de refaire le sacrifice éternel...

Ils sont venus. Nous sommes venus. Qui donc parlait des complications modernes ? Illusions, sans doute...


LA FRONTIÈRE DU SUD

La plaine sauvage se déroule, interminable, dominée par la silhouette solitaire et déjà lointaine du Tomor. Pour traverser l’Ossum, il faut atteler des buffles aux automobiles. La route n’est plus qu’une piste labourée d’ornières. A chaque fossé l’on s’arrête, et l’équipe d’ouvriers qui nous suit doit consolider le pont...

Et voici que le chauffeur s’égare le long des courbes déconcertantes du Semeni, toutes semblables, glauques entre leurs rives argileuses. De rares villages éparpillent leurs maisons de pisé, ombragées par des arbres très hauts, où grimpe la vigne, et parmi leur feuillage pendent de lourdes grappes. Il fait nuit lorsque nous atteignons Valona.

Au bord de sa baie calme comme un lac, protégée par la longue pointe de Linguetta et par le rocher désert de Saseno, Valona (Vlora) abrite ses maisons blanches et ses mosquées au pied des collines couvertes d’oliviers, première marche de ce nœud de montagnes qui la séparent de la vallée d’Argyrokastro.

De vastes cimetières italiens attestent la longueur d’une occupation malheureuse. Et sur la colline, proche de la citadelle, le village de Kanina, entièrement détruit, rappelle qu’on s’est battu tout autour de Valona.

— Mahomet est à Dieu et Vlora aux patriotes, disent les Albanais.

Au sommet de cette haute montagne dirigée vers le Sud, et dont les crêtes semblent inaccessibles, les chefs de village se rencontrèrent un jour de mai, l’année dernière. Comme les Suisses du XIIIe siècle, réunis au Grutli, ils firent le serment de mourir ou de libérer leur sol. Au début de juin, ils commencèrent leur offensive. Ils avaient à combattre une armée, munie d’artillerie et d’avions, solidement fortifiée, protégée par des vaisseaux de guerre. Eux ne comptaient pas un millier d’hommes. Ils ne possédaient pas un canon... Mais ils attaquaient la nuit pour qu’on ne devinât pas leur petit nombre, et ils tiraient très vite afin d’imiter les mitrailleuses. Ils jetaient