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invocation : Elvetia... Elvetia... Cet illettré improvise un chant en l’honneur de notre pays.

« Si Dieu revenait visiter l’Albanie, il la trouverait telle qu’il l’a faite, » dit un proverbe albanais. Ce mot me revient à l’esprit le long de la route qui franchit les hauts massifs séparant Valona de Tepeleni. La vallée déroule au-dessous de l’étroite corniche des profondeurs limpides ; ces ondulations nues où le calcaire affleure sont comme baignées d’azur. Aucune ville, aucune trace humaine, pas un chemin, pas même un pont sur celle Vjusa bleue au milieu de son lit trop large. Les rares villages que le regard finit par découvrir paraissent inaccessibles au flanc des vallonnements et l’on cherche en vain le sentier qui les dessert.

Mais la vallée d’Argyrokastro qui se resserre autour de nous, apparaît telle que les hommes l’ont laissée, — couverte de ruines. Elle s’allonge entre de hautes montagnes arides où les villages, cramponnés à mi-hauteur, se rapprochent, formant, au milieu de ce désert, de brèves oasis. Opiniâtrement, au prix de quels efforts ! ils ont découpé quelques champs dans la pierraille. Aujourd’hui, leurs arbres n’ombragent plus que des pans de maisons détruites. Au printemps et en été 1914, les Grecs, se retirant et déjà prêts à revenir, ont tout brûlé.

On passe un col et l’on voit apparaître les murs béants de la citadelle de Tepeleni, chaos de pierre dressé sur le ciel.

Tepeleni, brûlée en juillet 1914, avait relevé tant bien que mal quelques-unes de ses ruines. Une partie de ses 4 000 habitants essayaient d’y vivre, lorsqu’en décembre 1920, un tremblement de terre parfit la besogne des Grecs, bousculant ces décombres, mêlant ces ruines qui ne sont plus que des torrents de moellons, des amas de blocs, enfermés dans les vieilles murailles encore debout, une confusion de débris où l’on chemine à grand peine. Jusqu’à l’eau du canal qui s’est perdue... Nous retrouvons les bases de la maison d’Ali Pacha ; un pan de façade, un fragment de frise sur une dalle brisée : c’est tout.

On nous conduit au delà du chaos de la ville, à l’endroit qu’il préférait, assure la tradition : une étroite terrasse qui commande toute la longue vallée, le fleuve, l’ouverture du défilé de Klissura, et, sur le versant d’en face, ce village de Codra, tristement célèbre, où les Grecs de 1914 ont massacré dans une église deux cents musulmans.

Ali de Tepeleni, pacha de Janina, aventurier de grande