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allure, héros de la lignée des Pyrrhus et des Scanderbeg, égaré à la fin du XVIIIe siècle, remplit du bruit de ses combats le Sud de l’Albanie qu’il avait arraché aux Ottomans. Ce mahométan cherchait en Occident des alliances, et il soutint la révolution grecque, croyant trouver chez les insurgés un appui pour l’Albanie indépendante. Ce fut sa perte. En 1822, les Turcs l’assiégèrent à Janina et le firent assassiner. Il avait quatre-vingt-un ans. Sans doute les Grecs avaient-ils oublié cette page e leur histoire lorsqu’ils réduisirent à néant la ville natale de leur premier défenseur.

Ali Pacha, de Tepeleni... figure complexe, ambitieux et implacable, qui voulait l’indépendance de son pays, mais aussi sa propre grandeur, chef génial, d’une valeur obstinée, — comme il nous plait de le voir assis sur cette terrasse et contemplant son patrimoine !... L’homme de fer qui brûla et massacra, sans pitié, était donc sensible à cet accent des choses... Les montagnes dénudées qui s’embrasent dans la lumière oblique, l’ascension victorieuse des ombres violettes, et la rivière errante au milieu de son lit, cette intimité et cette rudesse des hautes vallées qui enferment et protègent comme une maison élargie, — ou comme une citadelle bien défendue... — l’endroit qu’il aimait, dit la tradition.

Tepeleni n’est point abandonné. Quelques habitants sont installés dans des baraques et vivent parmi cette détresse des pierres. Ils ont orné la mairie d’ares de verdure... Où donc ont-ils trouvé ces feuillages ?

Des hommes sont entrés, un à un, noblement, dans la pauvre chambre qu’ils remplissent de leur splendeur : ils portent la fustanelle blanche, la haute ceinture dorée où reluisent les pistolets d’argent, la veste passementée d’or, les guêtres brodées. Ils viennent d’Argyrokastro à notre rencontre. Leurs visages sont énergiques et maigres. La dignité de leur maintien fait de chacun d’eux un chef. Et lorsqu’ils défilent au soleil, dans l’éclat de leur costume blanc et or, on cherche involontairement des yeux les hommes qu’ils commandent. Quelle vision de l’Orient féodal ! Ils nous précèdent sur la route. Les autos dopassent des caravanes sans fin de petits ânes et de chevaux chargés qui vont à l’amble, derrière leur conducteur installé sur un bât. Et leur piétinement soulève une poussière dorée.

La vallée se déploie toute droite entre ses montagnes