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attendent. Un mamelon désert, ce promontoire de Lin que la conférence des Ambassadeurs proposera de restituer aux Albanais (la moitié de ce rocher leur appartient déjà), pour les dédommager des sacrifices exigés au Nord et à l’Est : territoires, villages, six mille habitants albanais qu’on leur prendra. Mais le promontoire de Lin est inaccessible aux diplomates... Et ce nom fait bien sur le papier...

Nous franchissons à cheval la barrière de montagnes qui abrite le lac, descendons l’autre versant, suivons un plateau qui domine de vastes étendues de terre sauvage, boisée de maquis. Nous avons fait halte au bord d’un ruisseau. Et les paysans se sont hâtés d’apporter des œufs et du raisin, qu’ils offraient avec un sourire, la main sur le cœur, en s’excusant de n’avoir pas mieux...

La haute montagne de Brzesda développe ses flancs peuplés de villages. Le sentier grimpe raide. C’est la première étape.

Dans une maison seigneuriale, moitié ferme et moitié château-fort, nous assistons avant le diner à la cérémonie du « mézé. » Tous les hommes, les parents, les cousins sont rassemblés. Assis sur les nattes, ils entourent un plateau portant des viandes froides, des beignets de cervelles, du foie grillé en brochette, des nourritures étranges et délicates que l’on pique avec un morceau de bois pointu. Le meilleur ami sert le raki, eau-de-vie de fruit. Et chaque fois, l’un ou l’autre, en saluant, la main sur le cœur, porte la santé des étrangers. Les verres, minuscules, ne cessent de se remplir. Le ton reste grave. Personne n’élève la voix ; les paroles s’échangent, lentes et presque basses. Les rudes visages accentués, aux moustaches tombantes s’éclairent et se détendent dans un sourire. Mais il n’y a aucun éclat de gaité bruyante.

Notre hôte est un vieillard très grand, au visage maigre et comme dévoré par un affreux souvenir. A mi-voix il raconte le malheur de cette montagne de Brzesda. En 1917, les Bulgares ont enlevé les habitants de dix-huit villages. 20 000 Albanais de cette région ont été emmenés dans la Serbie vidée de sa population et affamée. Dix mille sont revenus. Les autres moururent de faim et de misère. Il conclut :

— Ce pays qui est arrivé jusqu’au dernier point du soupir...

Un garçon d’une douzaine d’années vient d’entrer, l’aîné des petits-fils. Il récite un compliment avec cette élocution enflammée si fréquente chez les écoliers albanais. Toute