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Quelle vision de jardin paradisiaque s’offre alors un instant ! Des verdures étagées, des buissons de citronniers et d’orangers, des guirlandes de raisins, des touffes de larges roses, l’exubérance désordonnée des fleurs de septembre.

Nous nous sommes promenés dans un de ces jardins. Le long des allées, les pêchers trop chargés inclinaient des dômes pourpres. Des fruits jonchaient le sol. Leur incarnat bleuté était d’une telle richesse qu’on eût dit que ces arbres n’étaient là que pour étendre au-dessus des chemins, que pour répandre sur la terre cette splendeur dépassant la splendeur des roses encore fleuries. Nous n’osons pas les admirer, car le bey qui nous accompagne cueille aussitôt ces roses, fait signe au jardinier de remplir une corbeille de fruits...

Les maisons les plus simples ont leur jardin secret dont elles sont orgueilleuses. D’une terrasse couverte, où, sur les nattes, une vieille femme au profil d’aigle manœuvre son métier à tisser, mes yeux plongent dans un jardin étroit, soigné, fleuri, berceau vert parsemé de grenades qui luisent comme des ballons de cuivre sous les petites feuilles dures.

Dans la chambre contiguë à la terrasse, les jeunes femmes m’ont offert des limonades et des cigarettes.

Elles portent le pantalon bouffant et le boléro ouvert laisse apercevoir la chemisette de soie : leurs cheveux nattés serré retombent sur leurs épaules. Elles se penchent à l’envi autour du vaste coffre peint et elles en retirent les pièces de leur trousseau. Chemises de mariées en soie brodée d’or, vêtements de velours patiemment ornés de fleurs et d’arabesques, taffetas aux tons passés qu’elles tiennent de leurs aïeules, voiles transparents où des fils de couleurs différentes s’entrecroisent, leurs mains plongent avec une hâte passionnée au milieu des tissus qu’elles amoncellent sur le tapis. Elles guettent mon admiration et c’est à qui montrera la pièce de soie la plus fine. Autour d’elles, leurs enfants jouent, les petites sœurs se rapprochent, timides, les yeux luisants. Debout devant la porte, la vieille mère fait parfois entendre un bref avertissement autoritaire, en ayant soin que le battant soit fermé et qu’aucun regard de ces hommes rassemblés sur la terrasse ne puisse s’égarer parmi les jeunes visages découverts.

La coutume albanaise rassemble les fils mariés sous le toit du chef de famille. Sœurs et belles-sœurs vivent côte à côte,