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Sitôt que l’on s’éloigne d’EIbassan, la ville disparaît, comme évanouie dans la verdure de ses jardins. Et la plaine magnifique semble brusquement déserte entre ses montagnes ombrées d’oliviers derrière lesquels on voit se lever lentement la silhouette souveraine du Tomor.

Au sommet du col de Kraba, péniblement atteint par une succession de montées et de descentes, plus raides les unes que les autres, — « Rendez les rênes et fermez les yeux ! » conseillent nos guides, — nous nous retournons une dernière fois.

Dans l’échancrure de la forêt, c’est tout le déploiement des crêtes bleues au-dessus desquelles jaillit le sommet du Tomor, isolé, dominateur, appuyé sur ses longs épaulements. Et l’on aperçoit, par l’entrebâillement des chaînes, un pan de vallée, la ligne claire du Shkumbi, et l’on cherche Elbassan invisible sous la parure de ses jardins.

A l’Occident, entre les montagnes largement écartées, la plaine de Tirana s’incline vers la mer.


SUR LA ROUTE DE DIBRA

De mauvaises nouvelles sont arrivées. Des bandes serbes attaquent du côté de Ljuma. D’autres menacent le front du nord. Et l’on se bat près de Kastrati. De toutes les parties de l’Albanie, les volontaires affluent à Tirana. Ils descendent de leurs montagnes, ayant pour tout bagage leurs cartouchières et leur fusil, leur manteau de drap tissé. Il y en a de très vieux aux cheveux tout blancs, et de très jeunes, presque des enfants, dont les visages graves et timides se détournent. Ces hommes, sans uniformes, dans leurs vêtements de paysans, apparaissent davantage liés à leur sol.

Nous les avons vus manœuvrer sur la plaine qui borde Tirana. Très droits, très souples, ils défilaient par deux, et l’officier rectifiait d’un mot la position d’un fusil. Qu’importe d’ailleurs !... Ils savent tirer...

Ayant terminé l’exercice, ils se sont mis à danser. Toujours la même danse lente et rythmée, celle que nous avons vue à Himara, à Argyrokastro, dans l’éclat des fustanelles tournoyantes, à Moscopol, d’un bout à l’autre de l’Albanie. Leurs camarades, assis sur leurs talons, soutenaient le chant en élevant deux notes de basse, monotones, comme l’accord continu