Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un très petit village sous des arbres fruitiers. Il éparpille ses maisons basses, aux toits de tuile, très pauvres.

Nous sommes entrés dans une de ces maisons. La chambre des étrangers nous accueille, pareille à tant d’autres où nous avons dormi, cette chambre dont la porte demeure ouverte jour et nuit, à l’intention des voyageurs. Le toit enfumé, les grosses poutres transversales, les parois blanchies à la chaux où des cavités servent d’armoires, nous connaissons tout cela. Le mur bombant au dehors, ménage une logette couverte de nattes. Un grand feu brûle sur les dalles, sans cheminée, la fumée s’évanouissant par les interstices du toit. Nous avons mangé, étendus devant ce feu. Dans la chambre voisine, on entend les voix des femmes invisibles. L’hôte, un grand vieillard sec aux moustaches retombantes, l’air mystérieux et farouche, va et vient sans bruit. On a dressé nos lits de camp à côté du foyer qui entretient un peu de lumière. Les voix des femmes se sont tues. Pourquoi est-il impossible de dormir ? La fatigue, la fièvre...

Une sourde angoisse alourdit les ténèbres autour des bûches qui rougeoient. Il semble que l’angoisse oppressant l’Albanie devienne concrète et sensible dans cette pauvre chambre du montagnard de Bjeish.

Toujours les mêmes malheurs qui recommencent ! Ce pays ruiné, dévasté, désolé et ne demandant que la paix, ne cesse pas d’être contraint à se battre... La paix... Ce désir unanime de la paix que nous avons senti d’un bout à l’autre de l’Albanie... Et voici que la guerre recommence comme un feu mal éteint qui ne cesse de se rallumer. Et toujours cette vaine attente, cette espérance jetée vers la Société des Nations [1], vers les Puissances, vers la France surtout, parce que la France a la réputation d’être juste.

Les Serbes avancent... Il va donc grossir encore, le nombre de ces réfugiés hâves, chassés de leurs villages et que nous avons vus à Tirana, à Elbassan, à Scutari, mourant de misère, et que

  1. Les Puissances ont fini par s’émouvoir et ont fait à Belgrade une démarche. Le 9 novembre, la Conférence des ambassadeurs a décidé de conserver à l’Albanie ses frontières de 1913, avec certaines rectifications au détriment de l’Albanie. Le Conseil de la Société des Nations a envoyé à Tirana une commission internationale avec mission de surveiller le retrait des troupes serbes. D’autre part, la commission pour la délimitation des frontières albano-serbes, déléguée par le conseil des ambassadeurs, a commencé ses travaux au mois de mars dernier. La paix des Balkans et, par conséquent, la paix de l’Europe dépendra du sort fait à l’Albanie.