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là-haut une grotte toute noire. Le soleil inonde l’immense pays bien, les croupes arides et pures, la vallée sauvage où mes yeux retournent sans cesse chercher la route de Dibra.

La piste s’arrête. Les chevaux ne peuvent plus suivre. Nous grimpons à pied dans les pierres parfumées de cyclamens.

Et tandis que nous montions ainsi, lentement, et que la grotte semblait s’élever toujours, je sentais venir la réponse à la question angoissée de cette nuit.

L’âme albanaise, je la sentais éparse sur toutes ces crêtes découpées dans l’azur, sur toutes ces dures montagnes désertiques, je la sentais flotter autour des villages tenaces, incrustés le long des pentes ; elle remplissait le vaste paysage de son rêve, de son espoir, de son entêtement. Quoi qu’il arrive, l’âme albanaise ne peut pas disparaître. Tant de malheurs n’auront pas été vains, et l’amour de ce peuple pour sa terre et ses traditions le sauvera une fois encore, même sous le joug, ainsi que l’a montré l’expérience des derniers siècles.

L’âme albanaise, mais nous avons besoin de sa vaillance, de sa fidélité, de cette jeunesse qu’a préservée une longue tutelle... Elle a échappé à presque toutes nos contaminations... Et ses vertus, au sortir de l’Occident, semblent un rafraîchissement inattendu.

Semblable aux roses d’Elbassan, invisibles dans leurs jardins secrets et parfumant le dédale des rues resserrées entre les murailles, l’âme albanaise ne se laisse plus oublier de ceux qui l’ont une fois respirée.

Ce pays « arrivé jusqu’au dernier point du soupir » a le droit de vivre. Si l’on veut obtenir la stabilisation des Balkans, on doit considérer comme indispensable qu’il se développe et occupe la place qui lui appartient. Il continuera son rôle historique qui est d’opposer un rempart aux ambitions sans mesure des peuples trop vite gagnés à l’impérialisme. Pour le repos du monde, l’Europe a besoin de l’Albanie.


NOËLLE ROGER.