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mon esprit, que tes réflexions et celles de Riemer. » Elle avait déplu. Cela s’explique : elle avait paru exagérée. Par toute sa nature, par ses relations, par les côtés brillants et faux de son esprit, c’était une romantique, et Goethe, à ce moment, cachait de moins en moins son antipathie pour cette école. Et puis, elle portait des lunettes !

Sans doute, il était trop curieux de toutes choses pour écarter le spectacle de cette jeune ferveur qui s’offrait à lui, si étrange et si séduisante. Il avait le cœur libre : il accepta le divertissement. L’homme se laissa faire et l’artiste y trouva son compte. En effet, la jeune fille lui fournissait des thèmes, une matière poétique qu’il s’amusait à mettre en vers : c’étaient des expressions vives, de ces sentiments immédiats et qui ne s’inventent pas. Le poète les monte en bijoux dans ses rimes. « Envoyez-moi, lui écrit-il, quelque chose à traduire. » De là cinq ou six des beaux sonnets, qui parurent en 1815 dans le deuxième volume de ses Œuvres. Il utilise la jeune fille sans y mettre du sien, comme un peintre fait une étude d’après le modèle vivant. Le cœur n’est pas de la partie.

Certes, il n’a pas la cruauté de repousser Bettine ; il lui demande de petits services, des tracts israélites ; il lui adresse son (ils en l’envoyant à Heidelberg ; et surtout il la prie d’écrire ce qu’elle a retenu des récits de sa mère, pour s’en servir dans ses Mémoires : c’est à quoi nous devons les trente pages sur l’enfance de Gœthe, qui sauveraient le nom de Bettine, et qui seront toujours le complément indispensable des premiers épisodes de Poésie et Vérité. Mais il lui écrit peu ; il reste des six mois sans répondre, et ne répond que de courts billets. Bettine lui dit tu presque dès le début, et lui, qui pourrait être son grand père, conserve plus d’un an le vous de cérémonie. Pas une fois il ne fait mine de répondre à ses baisers. Lui qui trouvait si triste le mariage d’une jeune fille, et qui n’y assistait jamais, il presse tout le temps Bettine de se marier. « Dépêche-toi donc de me rendre parrain ! » Il pensait apparemment que le mariage la calmerait, et en cela, il se trompait.

Il y a entre eux dès l’origine une différence de température. Au fond, avec tout son talent, Bettine n’a pas su voir la seule chose importante : c’est qu’elle n’avait rien de ce que le poète cherchait dans une femme. C’est l’erreur des femmes d’esprit, de se figurer que leur esprit les rendra plus aimables et que