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croissante les agaceries de sa rivale, sa gaieté, ses rires, ses singeries ; elle se hérissait en la voyant, roulée aux pieds de Gœthe, se pâmer la tête sur ses genoux. Le vieux général Gneisenau, en l’honneur de qui Bettine crut devoir rééditer cette comédie, en demeura interloqué. Christiane n’avait pas le sang- froid de ce militaire. L’orage menaçait : il éclata pour une cause futile. On s’était rendu un matin à l’exposition ; les dames étaient fort gaies. Une remarque mordante de Bettine sur un tableau du Hofrath Meyer, bien voulu de Mme la Conseillère Intime, amena une réplique assez sèche. La jeune femme riposta ; elle était énervée, enceinte de six mois ; elle perdit toute mesure, au point de traiter la Gœthe de « boudin enragé. » Le boudin enragé sauta au visage de l’insolente et lui arracha ses lunettes. Bettine s’évanouit, et Christiane offensée se retira en consignant sa porte. Gœthe prit le parti de sa femme et demeura inflexible.

Après cet éclat burlesque, il n’y avait plus de relations possibles. Gœthe ne fut sans doute pas fâché d’avoir une raison de liquider un malentendu qui n’avait que trop duré. Toutes les tentatives de raccommodement échouèrent, même après la mort de Christiane, arrivée en 1816. L’éternel amoureux soupirait alors pour Marianne de Willemer ou pour Utrique von Levetzow. Il se souciait bien de Bettine ! Celle-ci se consolait de son côté avec un lieutenant de la Garde, le beau von Wildermuth. Elle n’en conservait pas moins le regret cuisant du Paradis. Rien ne lui coûta pour y rentrer. Elle écrivit : pas de réponse. Elle se présenta et ne fut pas reçue. Enfin, en 1824, une occasion de paix se présenta. La ville de Francfort vota une statue à son illustre enfant. L’excellent sculpteur Christian Rauch fit un projet qui eut le malheur de ne pas plaire à Bettine. Celle-ci, qui avait de grandes prétentions artistiques, en esquissa un autre qu’elle envoya à Gœthe « comme compatriote, » et pour lui montrer de quoi est capable « la pure intuition, sans le secours du métier » (toujours la marotte romantique). Le poète se laissa toucher par cet hommage. Il eut la faiblesse d’approuver ce médiocre dessin et de recevoir Bettine en grâce.

Ils se revirent encore en 1826. Les beaux jours paraissaient revenus. Au mois d’août 1830, elle reparut à Weimar : mais elle avait eu l’imprudence de faire sur la belle-fille de Gœthe on ne sait quel mot désobligeant, qui était revenu aux oreilles