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trouver de plus venimeux sur Gœthe, sur sa sécheresse, son égoïsme, son obséquiosité et sa lâcheté envers les grands, tous les reproches les plus cruels qu’on puisse faire à son caractère, se trouvent entre les lignes des Lettres d’un enfant. C’est là qu’on lit le mot terrible, le courant d’air qui lui venait du côté de sa mère. On se demande ce que viennent faire, dans les lettres datées de Munich, les déclamations sur Andréas Hofer et la révolte du Tyrol, dont il n’y a pas un traître mot dans le texte de 1810 : on ne s’explique pas d’abord le sens de cette « tyrolienne ; » on comprend à la réflexion que ce patriotisme tout neuf est là pour faire honte au cosmopolitisme de Gœthe, et pour punir l’ « Européen » et le mauvais Allemand, comme on réprouve le fils sans cœur.

Il y a enfin dans les Lettres à un enfant un effroyable galimatias sur le génie de la musique et d’apocalyptiques discours de Beethoven, qui paraissent d’ailleurs entièrement apocryphes. Ces dissertations confuses sur l’instinct, sur l’inconscient, sur le caractère électrique et foudroyant de l’intuition, sur la divinité de l’art et l’ivresse du génie, sont un amphigouri qu’on est tenté d’abord de mettre simplement sur le compte du romantisme. Goethe, en 1830, n’était plus un génie assez « démoniaque. » Mais on s’aperçoit bientôt que tout ce pathos n’a d’autre objet que de grandir Beethoven aux dépens de Gœthe, et de montrer en lui le vrai héros Allemand. Le tout mêlé d’effusions, de baisers, de protestations. Ah ! Bettine s’est bien vengée.

Et cela se comprend encore : que l’amour se tourne en haine, c’est tout simple. Ce qui est odieux, c’est l’étalage continuel de supériorité, c’est le souci de jouer un rôle et d’avoir le beau rôle, de vouloir être Velléda, Diotime, Mignon, Psyché, que sais-je encore ? de se mettre en vedette et, quand on est Bettine, de vouloir se jucher sur Goethe comme sur un piédestal. Elle était la petite fille qui avait entendu les récits de la mère du poète : c’était assez. Cette part ne lui a pas suffi : elle a eu la manie d’éblouir et de se faire admirer. Au milieu de ses trilles et de ses vocalises, parmi les arabesques exquises de sa voix, on sent qu’elle dit à Gœthe : « Et voilà ce que tu dédaignes ! » Au fond, elle ne pense qu’à elle-même. Dans toutes ses lettres passionnées, dans ce cliquetis de mots, d’images, de roulades, il n’y a pas un atome de tendresse et pas un sentiment digne