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mais nous avions la certitude de ne plus retourner dans cette garnison d’Ecouen où nous avions été si rondement menés, je ne dis pas rudement, car la discipline y était douce, mais où on nous avait fait faire tant d’exercice. Nous étions prodigieusement chargés et, pour surcroît d’embarras, nous portions sur nos sacs, attachés avec des ficelles, nos monstrueux bonnets à poil, renfermés dans des étuis de carton, semblables à ceux des manchons des dames. La pluie nous prit en route ; les cartons se ramollirent et devinrent pâte. Bientôt nos bonnets roulèrent dans la boue, et firent horreur. Qu’on se figure des soldats portant à la main ou sous leurs bras quelque chose d’aussi hideux. C’était une vraie marche de Bohémiens que la nôtre.

Enfin on arriva à l’Ecole militaire, mouillés jusqu’aux os et exténués de fatigue, à cause de la pesanteur de nos sacs, du mauvais état des chemins et de la gêne de notre marche. Pour nous délasser, nous couchâmes à trois et reçûmes l’ordre de nous préparer pour passer la revue de l’Empereur, dès le lendemain.

Après une nuit très laborieuse, nous primes les armes, dès le jour, pour nous rendre dans le Jardin des Tuileries. Là on versa dans chaque compagnie de chasseurs (les vieux) une portion du 1er détachement des vélites, on les plaça par rang de taille, et on nous annonça qu’à partir de ce jour nous faisions partie de ces compagnies. Je me trouvai dans la 2e compagnie du 2e bataillon. Encadrés dans les rangs de ces vieilles moustaches, qui avaient tous un chevron au moins, nous avions l’air de jeunes filles auprès de ces figures basanées, la plupart dures, envieuses, mécontentes de ce qu’on leur donnait des compagnons aussi jeunes. Cette opération terminée, nous entrâmes dans la cour du château, où l’Empereur passa la revue de la partie de la Garde qui devait se rendre en Italie. Ses cadres organisés, nous défilâmes et rentrâmes à l’École militaire pour nous préparer pour le départ du lendemain.

Avant notre départ, le maréchal Soult nous passa en revue dans le Champ de Mars. Il tombait du verglas, ce qui nous incommoda beaucoup. Le régiment de chasseurs destiné à cette expédition ou campagne (car nous ignorions le motif de ce départ si précipité) se composait de deux bataillons de quatre compagnies chacune.

En partant de l’étape ; nous mimes nos sacs sur des voitures, ne conservant que nos oursins que nous portions en bandoulière.