Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le soir, à la clarté des feux des bivouacs, il nous fut donné lecture de la proclamation de l’Empereur qui annonçait une grande bataille pour le lendemain, 2 décembre. Peu de temps après, l’Empereur vint à notre bivouac pour nous voir ou pour lire une lettre qu’on venait de lui remettre. Un chasseur prit une poignée de paille et l’alluma pour faciliter la lecture de cette lettre. De ce bivouac il fut à un autre. On le suivit avec des torches allumées pour éclairer sa marche. Sa visite se prolongeant et s’étendant, le nombre de torches s’augmenta ; on le suivit en criant : « Vive l’Empereur. » Ces cris d’amour et d’enthousiasme se propagèrent dans toutes les directions, comme un feu électrique ; tous les soldats, sous-officiers et officiers se munirent de flambeaux improvisés, en sorte qu’en moins d’un quart d’heure, toute la Garde, les grenadiers réunis, le 5e corps qui était à notre gauche et en avant de nous, le 4e à droite, ainsi que le 3e plus loin et en avant, enfin, le 1er qui était à une demi-lieue en arrière en firent autant. Ce fut un embrasement général, un mouvement d’enthousiasme si soudain que l’Empereur dut en être ébloui. C’était magnifique, prodigieux. Après avoir été assez loin, je revins à mon bivouac, après l’avoir cherché longtemps, tous ces feux m’ayant fait perdre la direction où il se trouvait. Je ne doute pas que ce fut le hasard qui donna la pensée de cette fête aux flambeaux et que l’Empereur n’y pensait pas lui-même.

2 décembre. — Longtemps avant le jour, la diane fut battue dans tous les régiments ; on prit les armes et on resta formé en bataille jusqu’à ce que les reconnaissances fussent rentrées. La matinée était froide, le brouillard assez épais, un silence complet régnait dans toutes les lignes. Ce calme si extraordinaire après une soirée aussi bruyante, aussi folle, avait quelque chose de solennel, d’une majestueuse soumission aux décrets de Dieu : c’était le précurseur d’un orage impétueux, meurtrier, qui élève et abat des empires.

L’Empereur, entouré de ses maréchaux et des généraux d’élite de son armée, était placé sur un mamelon dont j’ai parlé, distribuant des ordres pour la disposition de ses troupes et attendant que le brouillard se dissipât pour donner le signal de l’attaque. Il fut donné, et, peu de temps après, toute cette immense ligne fut en feu.

Pendant ce temps-là le 1er corps, qui était derrière, se porta