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voie, et surtout évitez de vous laisser prendre par les patrouilles. » Le conseil était bon, nous le suivîmes en tous points. On rit beaucoup au bivouac de la venette que nous venions d’avoir, et de la grande colère pour rire du bon maréchal,


IÉNA

13 octobre. — Au bivouac, en avant d’Iéna, sur une montagne et sur la rive gauche de la Saale. Pour y arriver, nous traversons la ville et prenons position : il était déjà nuit. Ayant su que le 21e léger du 5e corps n’était pas très éloigné, je fus voir les nombreux compatriotes qui y servaient. Ils étaient aux avant-postes, sans feu, avec défense de combat, et je les quittai bientôt. De retour au camp, j’apprends qu’Iéna est en feu et qu’on s’y est rendu en foule. Je fis comme les autres. Grand Dieu ! quel affreux spectacle offrait cette malheureuse ville dans cet instant de la nuit ! D’une part le feu, de l’autre le bris des portes, les cris de désespoir. J’entrai dans la boutique d’un libraire : les livres étaient jetés pêle-mêle sur le plancher. J’en prends un au hasard : c’était le guide des voyageurs en Allemagne, imprimé en français. C’était le 2e volume ; je cherche vainement le 1er, je ne le trouve pas. Mais le lendemain de la bataille, quand l’ordre eut été rétabli, je retournai chez le libraire pour le prier de me vendre ce premier volume. C’était un peu lourd à porter dans un sac, mais j’étais si content d’avoir cet ouvrage, qu’il me semblait que son poids ne devait pas m’incommoder.

Peu d’heures après mon retour au camp, on prit les armes, on se forma en carré et on attendit en silence le signal du combat.

14 octobre. — Un coup de canon tiré par les Prussiens, dont le boulet passa par-dessus nos têtes, annonça l’attaque. Un bruit de canons et de fusils se fit aussitôt entendre sur les lignes des deux armées ; les feux d’infanterie étaient vifs, continuels, mais on ne découvrait rien, le brouillard étant si épais qu’on ne se voyait pas à six pas. L’Empereur était parvenu par ses habiles manœuvres à forcer les Prussiens à donner la bataille dans une position et sur un terrain peu favorables, puisqu’ils présentaient le flanc gauche à leur base d’opération, et qu’elle était tournée.