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place de la ville étaient 24 pièces de canon russes qu’on avait ramassées sur le champ de bataille. Un jour que je les visitai très attentivement, je fus frappé sur l’épaule par le maréchal Bessières qui me demanda de le laisser passer. Il était suivi de l’Empereur qui dit en passant devant moi : « J’ai été content de mes visites. » Je ne répondis rien : ma surprise avait été trop grande de me trouver si près d’un homme si haut placé, que j’avais vu trois jours auparavant exposé aux mêmes dangers que nous.

Avant notre départ, il y eut une troisième promotion de vélites. Comme je n’attendais rien encore, je m’en occupai peu. Le séjour d’Eylau devenait misérable ; nous étions sans vivres, sans abri pour ainsi dire, car nous étions entassés les uns sur les autres. Le dégel était bien prononcé, ce qui rendait encore notre position plus incommode. Enfin, le signal de la retraite nous fut annoncé par une proclamation qui nous expliquait pourquoi nous n’avancions plus et pourquoi nous allions prendre des cantonnements à 30 lieues en arrière. Ce n’était qu’une trêve momentanée : la reprise des hostilités viendrait avec les beaux jours.

21 février. — A Osterode, petite ville de la Prusse sur la route de Kœnigsberg à Thorn. L’Empereur établit son quartier général dans cette ville, et envoie en cantonnements dans les villages environnants toute la partie de la Garde qui n’est pas nécessaire au service de sa personne et de son état-major.

L’annonce de l’entrée en cantonnements fut accueillie avec une vive joie. Nous avions souffert tant de privations, éprouvé tant de fatigues, qu’il était bien permis de se réjouir et d’aspirer à un peu de repos. D’ailleurs, nos effets étaient dans un état de délabrement déplorable, nos pieds tout en compote, nos corps rongés par la vermine, faute de temps et de linge pour s’en débarrasser. Cette campagne que j’appellerai une campagne de neige, comme la première en fut une de boue, fut plus pénible encore par la privation de vivres que par l’intensité du froid qui cependant se fit sentir bien cruellement...

Le fait est que J.-B. Barrès avait eu les pieds gelés. « Le chirurgien décida que je serais envoyé sur les derrières, au petit dépôt de la Garde, de l’autre côté de la Vistule. »

21 avril. — Pendant mon absence, l’Empereur transféra son quartier général à Finckenstein, superbe château au comte de