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duc de Berg avait pris la place du cocher de la calèche où se trouvait l’Empereur. La célérité de notre marche, l’activité de tous les officiers attachés au Grand Quartier général annonçaient que cela pressait et que de grands coups se donnaient en avant de nous.

Quand nous arrivâmes sur les hauteurs, au-dessus de la plaine qui précède la ville de Heilsberg et non loin de la rive gauche de l’Alle, la bataille était vivement engagée depuis le matin. Placés en réserve, nous découvrions les deux armées engagées et les attaques incessantes des Français pour s’emparer des redoutes élevées qui dans la plaine couvraient le front de l’armée russe. Les troupes en lignes n’ayant pas pu s’en rendre maîtresses, l’Empereur y envoya les deux régiments de jeune garde, fusiliers, chasseurs et grenadiers, organisés depuis quelques mois et arrivés à l’armée depuis peu de jours. Les redoutes furent enlevées après un grand sacrifice d’hommes et d’héroïques efforts. Le général de division Roussel, chef d’état-major qui les commandait, eut la tête emportée, et beaucoup d’officiers et de sous-officiers de la Garde qui les avaient organisés, et dont plusieurs étaient de ma connaissance, y perdirent la vie.

La journée se termina sans résultat, chacun garda ses positions et nous bivouaquâmes sur le terrain que nous occupions, au milieu des morts du combat de la matinée. Nous étions restés douze heures sous les armes, sans changer de place.

Le lendemain soir, l’ennemi évacua la ville d’Heilsberg, ses magasins et les retranchements dont la défense avait fait couler tant de sang.


FRIEDLAND

12 juin. — Nous quittâmes les hauteurs que nous occupions depuis l’avant-veille à dix heures du matin ; nous traversâmes le terrain sur lequel s’était donné la bataille, la ville d’Heilsberg et arrivâmes après une longue marche de nuit, sur le champ de bataille d’Eylau. Le 13 à six heures du matin, nous bivouaquâmes à peu près sur le même emplacement où nous avions été mitraillés quatre mois auparavant. Notre marche de nuit fut remarquable en ce que nous fûmes assaillis, lorsque nous traversions une immense forêt, par un orage si violent, si impétueux, que nous fûmes obligés de nous arrêter pour attendre qu’il fût passé, dans la crainte qu’on ne s’égarât. Nous arrivâmes