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défaits, mouillés, horriblement fatigués, et hors d’état de faire le coup de feu, si cela eût été nécessaire ; mais l’ennemi était sur la rive droite de l’Alle et nous sur la rive gauche, à une assez grande distance.

13 juin. — Au bivouac, sur le champ de bataille d’Eylau. Je revis avec une certaine satisfaction ce terrain si célèbre, si détrempé de sang, maintenant couvert d’une belle végétation et de nombreux monticules sous lesquels reposaient tant de milliers d’hommes. A la place de l’immense tapis de neige, étaient des prairies, des ruisseaux, des étangs, qu’on ne distinguait pas et qu’on n’aurait pu croire alors, le jour de la bataille, être des champs parsemés de bouquets de bois.

14 juin. — On partit de grand matin, en se dirigeant à droite vers Friedland, et les bords de l’Alle. Le canon se fit entendre de très bonne heure et le bruit paraissait devenir plus fort à mesure que nous avancions. L’ordre fut donné de mettre nos bonnets à poil et nos plumets ; c’était nous annoncer qu’une grande affaire allait avoir lieu.

Nos chapeaux, en général, étaient en si mauvais état, il était si incommode de porter deux coiffures, et d’en avoir toujours une sur le sac qui embarrassait plus qu’elle ne valait, que cela fit prendre la résolution à tous les chasseurs, et comme par un mouvement spontané, de jeter leurs chapeaux. Ce fut général dans les deux régiments. On eut beau le défendre et crier, l’autodafé se fit au milieu des cris de joie de toute la garde à pied.

Une fois prêts, on se remit en route ; peu de temps après, on commença à rencontrer les premiers blessés. Leur nombre devenait plus grand, d’un instant à l’autre, ce qui nous indiquait que l’affaire était chaude et que nous approchions du lieu où l’armée était aux prises. Enfin nous sortons du bois où nous étions depuis presque notre départ, nous débouchons dans une assez grande plaine, et voyons devant nous l’armée russe en bataille qui passait l’Alle sur plusieurs ponts pour venir nous disputer le terrain que nous occupions, et se diriger sur Kœnigsberg pour le débloquer. Placés d’abord en bataille à portée de canon de l’ennemi, à gauche de la route de Domnau à Friedland, nous restâmes plusieurs heures dans cette position ; mais quand une fois l’action fut bien engagée, vers cinq à six heures du soir, nous nous portâmes en avant pour prendre possession d’un