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Albert Sorel, c’était « la sage Normandie. » Pensant à lui, j’associe à mon souvenir, cette parole de Napoléon qu’il m’avait lui-même apprise : « Tout ici est consolant et beau à voir, et j’aime vraiment cette belle et bonne Normandie ; c’est la véritable France. » La qualité normande de ce Normand, c’était la judiciaire. Peser le pour et le contre, se contenir, ne se prononcer qu’à bon escient, mettre perpétuellement son sens propre à l’épreuve, ne pas se précipiter, réserver le geste, attendre : telle était sa manière. Sa rectitude d’esprit était incomparable, mais avec une tendance à la procrastination. La volonté de l’action ne le fouaillait pas. En historien qu’il était, il laissait du temps au temps.

Je n’ai pas à dire ici le mérite de ces hommes d’après la guerre de 1870 : ils auront leur tour devant l’équitable histoire. Sous les auspices de M. Thiers, ils avaient la volonté de refaire la France et de la remettre à son rang, même s’il fallait consacrer à cette tâche, dans l’abnégation et le silence, une ou plusieurs générations. Sérieux, décidés aux longues patiences, nombre d’entre eux se consacrèrent aux profondes et ingrates études de l’érudition et de l’histoire, comprenant qu’il fallait reprendre l’édifice par les fondations et l’arbre par la racine, résolus à réparer l’erreur de tout un siècle et à ramener vers la France vaincue, je ne dis pas l’estime, mais la confiance du monde. Dois-je citer des noms ? Fustel de Coulanges, Taine, Vandal, Sorel.

Albert Sorel côtoyait Taine dans les recherches sur l’histoire de la Révolution française ; mais l’un s’attachant de préférence à la politique intérieure, et l’autre à la politique extérieure. Ces études renouvelaient cette histoire. On jugeait à la lumière des événements récents ; on s’arrachait à la polémique et à la légende ; on gardait son sang-froid, on voulait voir les choses au vrai. Les Archives nationales et les Archives des Affaires Etrangères venaient de s’ouvrir à ces loyales recherches. Je puis bien dire qu’aux Archives des Affaires Etrangères, — là-bas au détour de l’escalier, — c’est bien Sorel et moi qui avions enfoncé les portes.

C’était donc, enfin, l’Histoire, l’Histoire de France, dans son plus intime et secret développement, qui se dévoilait, l’Histoire