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de France telle qu’elle avait été conçue et réalisée par ses maîtres : Henri IV, Richelieu, Vergennes, Danton, Napoléon ; « elle secouait la poussière des Archives... » Or, ces chercheurs s’aperçurent tout de suite d’une chose : c’est qu’à ses différentes époques et dans la suite de ses révolutions, l’Histoire de France était toujours la même, se développant avec une logique parfaite, — traditionnelle et novatrice, obéissant aux lois de la nature et aux lois de la raison, non pas l’Histoire de tel ou tel siècle, de tel ou tel régime, de telle ou telle dynastie, mais l’Histoire de France.

Cela, Tocqueville l’avait déjà indiqué. Mais ce fut la tâche de cette génération de le prouver et de dégager les conséquences : puiser l’avenir dans le passé et le relèvement dans la tradition, tel fut le programme. La France survivrait certainement puisqu’elle avait survécu à tout : il n’y avait qu’à s’y remettre et à continuer. Ces études furent une école de persévérance et d’optimisme : optimisme que ne partageaient peut-être pas toujours ceux qui regardaient surtout le dedans, mais dont ceux qui regardaient le dehors étaient férus jusqu’à l’âme. Nous nous répétions, les uns aux autres, le mot de Joseph de Maistre : « Qu’arriverait-il de l’Europe, s’il n’y avait plus la France ? »


Mais, j’ai hâte d’en venir au jugement de Sorel sur les choses de son temps et sur le prochain avenir.

Quoique le poids de l’œuvre bismarckienne eût pesé si fortement sur lui, il ne croyait pas à la durée de l’Allemagne impériale et prussienne. Son doute portait seulement sur la question de savoir par où elle fléchirait. S’attachant à scruter les tendances séparatistes, naturelles sur ce vaste territoire, il tenait compte aussi du sentiment confus, mais ardent, qui avait poussé les « tribus germaniques » vers l’unité. Bismarck n’avait pas créé ce sentiment ; il l’avait trouvé vagissant dans les langes de 1848. Sorel se demandait si l’on devait s’attendre à une évolution libérale qui rendrait la vie supportable à l’Europe ; mais, comment s’accomplirait-elle sous le joug prussien avec la devise : « Par le fer et par le sang ? » H voyait bien grandir le socialisme marxiste : mais cet étatisme forcené ne lui inspirait que de la terreur. Je crois bien me souvenir que ce sur quoi il comptait, ce qu’il attendait avec la patience de l’homme à