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généralissime des Parisiens, Armand de Bourbon, prince de Conti, qui passait une revue. Elles admiraient aussi la bonne grâce des soldats et leurs milliers de rubans.

A Saint-Germain, Condé, demeure fidèle au Roi, de huit ans plus âgé que son frère, — déjà le Grand Condé, vainqueur des Espagnols et des Impériaux, à Rocroi en 1643, à Fribourg en 1644, à Nordlingen en 1645, à Lens en 1648, — parlait en souriant de ce cadet malingre, préparant des bourgeois déguisés en soldats à une guerre qu’il traitait de Guerre des pots de chambre. Il divertit un jour les courtisans en saluant fort humblement dans la chambre du Roi un singe qui était attaché à un chenet de la cheminée, et dont la taille n’était pas beaucoup plus « gâtée » que celle du prince de Conti : « Serviteur, dit-il, serviteur au généralissime des Parisiens ! »

Plus tard, la paix de Rueil ayant ramené la Cour triomphante à Paris (18 août 1649), Condé, infidèle à lui-même et au Roi, se rapproche de son frère. Chef de la cabale des Petits-maîtres, il ose tourner Mazarin en ridicule ; lui dire : « Adieu, Mars ; » lui écrire : « All’ illustrissimo signor facchino ! » Deux fois réconcilié avec lui, il lui impose de secrètes conditions qui le mettent dans sa dépendance ; il encourage le marquis de Jarzé à faire une déclaration amoureuse à la Reine. Anne d’Autriche renvoie de la Cour le fat ridicule, et Condé répète : « Le vieux galant a chassé le nouveau. » Fait plus grave, il s’arrange pour disposer de la place très forte du Havre par un ingénieux moyen de comédie. Le jeune duc de Richelieu, général des galères et commandant du Havre sous la tutelle de sa tante, la duchesse d’Aiguillon, est marié par lui à une séduisante amie de la duchesse de Longueville, une veuve fort éprise de ce mineur, Anne Poussart du Vigean, marquise de Pons. La Reine songeait pour ce petit Richelieu à Mlle de Chevreuse, fille de la duchesse de Chevreuse ; car Marie de Rohan, veuve du duc de Luynes en 1621, et remariée l’année suivante à Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, — « Chevreuse, la cavalière, toujours en échappée ou en quête d’aventures, » — était rentrée en grâce et ralliée à la Cour. Le duc de Richelieu arrive secrètement, sans la permission royale, au château de Trie, près de Beauvais, chez Mme de Longueville, le 24 décembre 1649. Le 26, il y épouse Mme de Pons devant l’aumônier du château ; le 28, il rentre au Havre ; le 31, il refuse de remettre la ville et la citadelle à