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actuel de l’Odéon), « conduisait tout ce commerce. » Il fut un peu plus tard mis à la Bastille.

Les billets entraient et sortaient dans des bouteilles de vin à double fond ou dans des écus à vis. Par une petite ouverture, des gardes, complices du dehors, passaient les bouteilles à d’autres, complices du dedans. Les écus truqués, mêlés à ceux que l’on envoyait aux princes pour leur jeu, leur étaient remis par M. de Bar lui-même dans toute l’innocence de son âme. La nuit, à l’abri de leurs couvertures, derrière le rempart de leurs in-folio, sous la protection de rideaux bien tirés, les princes lisaient les réponses, au nez de leurs surveillants.

Condé et Conti furent plus habiles ou plus heureux que Longueville, qui, logé dans une autre chambre, usait de semblables finesses. Un soir du mois d’août 1650, M. de Bar, persuadé que le duc entretenait des intelligences avec ses partisans, et fort étonné de n’avoir rien trouvé dans les poches de ses vêtements qu’il venait d’explorer, s’approcha du lit où le prince était couché, et fît une perquisition. Il trouva sous son aisselle un chiffre, un porte-crayon avec plusieurs morceaux de crayon et un morceau de cire d’Espagne, un cachet d’argent, deux petits billets, dont l’un u désapprouvait le dessein de se servir des Espagnols pour prendre un poste » en Normandie, gouvernement du duc de Longueville. Tout un matériel de bureau, tout un courrier entre la peau et la chemise ! On peut encore en lire l’inventaire officiel, et, semble-t-il, inédit.

Cette correspondance, certaines conversations calculées de M. de Bar, les visites des médecins et des confesseurs, avaient-elles appris quelque chose aux princes ? Connaissaient-ils les événements qui avaient suivi leur arrestation : Paris allumant des feux de joie ; la garnison de Damvilliers en Lorraine abandonnant le service du prince de Conti pour celui du Roi ; Mme de Longueville, après des aventures inouïes, se réfugiant à Stenay, que M. de La Moussaye conservait à Monsieur le Prince ; les deux princesses de Condé, la douairière, Charlotte de Montmorency, et la jeune, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, se retirant au château de Chantilly ? La Reine y avait dépêché un gentilhomme avec des compagnies des gardes, afin de s’assurer que Claire-Clémence ne partait pas pour le Berri, l’un des gouvernements de son époux, avec son fils, le petit duc d’Enghien. Mais celle-ci, feignant d’être malade, avait laissé à sa place.