Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans son lit, une jeune Anglaise qui reçut l’envoyé de la Reine en présence d’un faux petit duc d’Enghien. Elle avait fui par une porte de derrière avec le véritable, parcouru quatre-vingts lieues, atteint, dans un carrosse gris à six chevaux escorté de trente cavaliers, Menetou, dernière étape avant le nid d’aigle de Montrond.

Bientôt elle s’évada de Montrond, où elle avait invité et mis sous clef, au retour d’une chasse, les officiers de la petite ville de Saint-Amand, tandis qu’ils prenaient une collation dans la grande salle.

De nouveau par les chemins, en quête des ducs de La Rochefoucauld et de Bouillon ; chez eux, dans leurs châteaux de Verteuil près de Ruffec, puis de Turenne près de Tulle ; fuyant devant les troupes royales en marche, elle était entrée à Bordeaux, qui, révolté l’année précédente et soumis cette année même, se souleva encore pour l’acclamer.

De cet extraordinaire roman de cape et d’épée, les princes ne laissaient pas d’avoir quelque notion. Lorsque le chirurgien d’Alençay le trouvait tout occupé du soin de ses pots de fleurs, Condé disait gaiement : « Qui aurait cru que j’arroserais des œillets, pendant que ma femme fait la guerre ? »

Ce qui importe plus à la liberté des princes que cette « guerre des femmes » en Guyenne, c’est l’avance espagnole en Champagne. Turenne, hélas ! à la tête d’un corps ennemi, est vainqueur à Rethel, à Chateau-Porcien, à Fismes (26 août 1650) ; Boutteville, le futur maréchal de Luxembourg, pousse jusqu’à La Ferté-Milon avec l’avant-garde d’Espagne. Quelques nouvelles victoires, et les deux Français en armes contre la France seront sous les murs de Paris, ils ouvriront eux-mêmes aux princes la porte du donjon.

Heureusement pour la France et pour l’honneur des princes, ce ne fut pas la main de l’ennemi qui les tira de leur prison. Le 30 août 1650, le bac de Conflans accostait la rive gauche de la Seine avec deux carrosses empruntés à Macé Bertrand, sieur de La Bazinière, trésorier de l’Epargne, et à Bordier, conseiller au Parlement, sous prétexte d’éloigner de Paris le petit duc de Valois, frère de Louis XIV, à cause de l’approche des ennemis. Condé, Conti et Longueville étaient assis dans le premier car- rosse, celui de La Bazinière.

Parties de Vincennes à onze heures du matin, les deux voitures