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de sa prison. » Des gens achetés cachaient, en faisant son lit, dans sa paillasse, des poignards et des pièces de pou-de-soie pour confectionner une corde ou même une échelle. Il se frottait les yeux, qui devenaient rouges, et il demandait un remède à son chirurgien d’Alençay. Le chirurgien comprenait ; il envoyait une poudre, de la poudre d’encre sympathique ; et, lorsque Madame la Princesse et le jeune duc d’Enghien furent autorisés à écrire, les lettres parurent aussi insignifiantes que le pouvait désirer le geôlier le plus scrupuleux. M. de Bar ne soupçonnait pas que, sur les marges, étaient écrits à l’encre invisible par Pierre Lenet, conseiller d’Etat, et charge des affaires de Monsieur le Prince, les avis indispensables et les plans d’évasion.

Claude Joly, dans un ouvrage sur la prison et la liberté de Condé, paru en 1651, expose un projet d’évasion, qui ne serait pas mauvais pour le troisième acte d’un drame de la Porte Saint-Martin. Représentons-nous la chambre des princes. Au fond, sous la fenêtre à meneaux, le fossé plein d’eau ; sur l’eau, un bateau de cuir bouilli amené par un conjuré ; de l’autre côté de l’eau, un corps de garde de quatorze soldats, quatorze soldats gagnés. Dans l’antichambre, sept gardes veillent ; mais quatre sont achetés. Les quatre achetés désarment, et, au besoin, assomment les trois autres. Avec la complicité des soldats de la terrasse, les princes, armés des poignards cachés dans la paillasse, se débarrassent des gardes de la chambre ; ils descendent par la fenêtre, se jettent dans le bateau, traversent le fossé. Un homme sûr, posté au bord, les remonte jusqu’à lui au moyen d’une corde, et un régiment, commandé par le duc de Nemours, les reçoit à vingt pas de là et protège leur fuite. Bar éventa le complot. Il fit « une grande réprimande » aux gardes, en ajouta trois nouveaux dans l’antichambre, eut une explication hardie avec Condé qui « voulut tourner l’affaire en risée, » mais avertit en toute hâte ses amis de la remettre à plus tard.

Du reste, si l’on transférait les princes au Havre, leurs partisans comptaient sur les hasards de la route. Quatre espions étaient sans cesse aux écoutes dans le château pour révéler le jour du départ et la destination du convoi. Etait-ce le Havre ? Le marquis de Chamboy qui « était à M. de Longueville » et avait le gouvernement du Pont-de-l’Arche, se tenait sur la route, guettant le carrosse, à la tête de quatre cents chevaux. Etait-ce