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disait en gémissant Mazarin, dans sa triste chambre du château de Bouillon dans les Ardennes, où il attendait un passeport de l’archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas, pour se rendre en Allemagne. Les frondeurs les lui avaient confisquées en 1649, et, — maigre consolation pour le propriétaire dépouillé, — Mme de Chevreuse les avait achetées trois cent mille livres au-dessus de leur valeur. M. Louis Batiffol cite dans son beau livre, la Duchesse de Chevreuse, la lettre de Mazarin, à laquelle nous empruntons ces détails.

Ces splendeurs étaient destinées à fêter le mariage de Mlle de Chevreuse avec le prince de Conti. A peine sortis de la citadelle du Havre, après l’entrée triomphale dans Paris, la joie publique, les cris et les feux, après le froid accueil de la Reine, le souper chez le duc d’Orléans, le jeu chez le maréchal de Gramont, la séance solennelle du Parlement, Monsieur le Prince et le prince de Conti s’étaient rendus à l’hôtel de Chevreuse. Là Mme de Chevreuse avait rendu à Condé l’original de la convention par laquelle Conti s’engageait à épouser sa fille, ne voulant pas abuser, disait-elle, d’une promesse extorquée à un prisonnier. Condé avait laissé le papier et renouvelé l’engagement.

Quelques jours plus tard, les deux frères avaient assisté, en ce même hôtel de Chevreuse, à la représentation de Nicomède, la nouvelle tragédie de Corneille, d’autant plus applaudie qu’elle contenait des allusions à leur captivité :


Aussitôt qu’un sujet s’est rendu trop puissant,
Encor qu’il soit sans crime, il n’est plus innocent :
On n’attend point alors qu’il s’ose tout permettre ;
C’est un crime d’État que d’en pouvoir commettre ;
Et qui sait bien régner l’empêche prudemment
De mériter un juste et plus grand châtiment,
Et prévient, par un ordre à tous deux salutaire,
Ou les maux qu’il prépare, ou ceux qu’il pourrait faire.


Condé, à cause du deuil de sa mère, partit avant le bal qui suivit la pièce ; mais Conti, aussi en deuil que son frère, demeura. Pouvait-il s’éloigner d’un bal où dansait sa fiancée ?

Cette fiancée, Charlotte de Lorraine, née du second mariage de Marie de Rohan avec le duc de Chevreuse, était une des parures de la Cour. En 1647, lorsque la duchesse de Chevreuse