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était revenue d’exil, les courtisans, qui se pressaient dans l’antichambre de la Reine pour contempler l’héroïne de tant d’aventures, n’avaient plus trouvé qu’un visage en ruines. Mais la duchesse de Chevreuse amenait sa fille. Les courtisans avaient été émerveillés de la belle figure, des beaux yeux de cette princesse de vingt-deux ans, — des yeux qui, « en se tournant vers ceux qu’ils regardaient, se paraient de je ne sais quel charme. » Avec peu d’agrément dans l’esprit, et « sotte jusqu’au ridicule, » Mlle de Chevreuse brillait de tout l’éclat que donne la mode.

Bien que son mariage fût un mariage politique, le prince de Conti « ne haïssait pas Mlle de Chevreuse. » Le 30 mars 1651, on racontait à Paris qu’il envoyait à sa maîtresse (comme on disait alors), un diamant de vingt mille livres et dix ou quinze mille louis d’or.

Cependant, le 14 avril, les noces n’étaient pas encore célébrées. Depuis longtemps déjà « le diable avait fait trouver » une parenté au quatrième degré entre le prince de Conti et Mlle de Chevreuse ; il fallait aller chercher les dispenses à Rome. Le beau prétexte pour retarder le mariage ! Un mariage, dont Mme de Sévigné aurait pu dire déjà ce qu’elle a dit plus tard de celui de la Grande Mademoiselle et de Lauzun, « une chose qui se fera dimanche et qui ne sera peut-être pas faite lundi. »

En douze jours, le fiancé n’était venu qu’une seule fois à l’hôtel de Chevreuse, et encore n’avait-il pas rencontré la jeune fille. Il pouvait charger le marquis de Crenan de porter ses excuses, offrir de signer immédiatement les articles du contrat, la duchesse croyait à une rupture prochaine. Son seul espoir était l’amour du prince.

Pourquoi l’attitude de Conti avait-elle changé ? Dans les pays étrangers, à la Gour, chez les princes mêmes, d’implacables ennemis menaçaient le bonheur des fiancés. Mme de Longueville, rentrée en grâce, ne pardonnait pas à Mme de Chevreuse l’arrestation des princes, ses frères et son mari, décidée l’année précédente, rue Saint-Thomas du Louvre. Ses rancunes allaient plus loin. Elle n’oubliait pas que le Garde des Sceaux, Châteauneuf, dont Mme de Chevreuse était l’alliée, avait, en 1632, condamné à mort son oncle, le duc de Montmorency. Enfin, grief moins pardonnable que tous les autres, elle redoutait on Mlle de Chevreuse une jeune rivale qui aurait le pas