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pas à Rome, même aujourd’hui. Le caractère est franc, ouvert ; il aime les initiatives et les fermes décisions. Les amitiés y sont généreuses et sûres, avec cette pointe de rudesse que tous les gens du Nord mêlent à leurs sentiments. La passion ne manque pas ; elle se traduit en mouvements d’enthousiasme, ou en colères qui tout d’un coup font de cette fourmilière pacifique un champ de bataille. Mais ces explosions sont rares ; la passion reste concentrée, ne se prodigue pas ; elle est surveillée par un gardien vigilant, le solide bon sens milanais, tout égayé d’humour, redoutable aux excessifs et aux sots.

J’aime me mêler à la foule qui se presse sous la Galerie, après le diner. Ces laborieux, las de l’effort de la journée, ont besoin d’un divertissement. Ils sortent ; ils s’en vont vers la Galerie, comme si un rendez-vous impérieux les y appelait tous les soirs. Un bruit de houle emplit bientôt l’immense hall vitré. Le flot humain déferle ; un courant se forme, et des contre-courants. On se salue, on s’aborde, on échange les nouvelles. On n’est pas venu pour faire des affaires ; mais si quelque affaire se présente, bien sot qui ne saisirait l’occasion. On achète les journaux du soir, et on les commente. On s’évade jusqu’aux portiques qui flanquent cette vaste architecture ; on donne un coup d’œil aux aiguilles du Dôme qu’estompe la nuit, à la vaste place obscure, aux tramways clignotants qui arrivant de tous les points de la ville, mènent leur ronde éperdue et repartent en déchirant l’air de leurs appels stridents. Puis on revient, et on reprend la même promenade, la Galerie sans relâche, la Galerie de l’un à l’autre bout. Peu à peu la foule diminue, les groupes s’égrènent, la lassitude pèse sur les causeurs obstinés. La sortie des théâtres apporte un dernier flot. Les cafés se ferment ; les bruits s’apaisent, les bruits de voix, les bruits de pas ; les globes électriques épandent paisiblement leur lumière sur la Galerie déserte, qu’occupent seuls, gardiens du vide, deux carabiniers majestueux.

8 octobre. — Voici une bonne aubaine, et je bénis les dieux propices qui n’ont pas manqué de me l’envoyer tout exprès. Je veux voir les effets de la guerre sur la politique italienne ; or l’Italie s’apprête à faire son examen de conscience, publiquement. Trois grandes assises vont se tenir coup sur coup : celles des socialistes, à Milan ; celles des populaires, à Venise ; et un peu plus tard, celles des fascistes, à Rome.