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sa barbe de fleuve, doit être une vaste symphonie ; chaque instrument a le droit de faire entendre sa voix et son timbre, mais l’ensemble demeure harmonieux. La comparaison n’est frappante ni par sa nouveauté, ni par sa justesse, encore que le clan de Modigliani l’applaudisse vigoureusement. Mais voici que la monotonie des harangues qui se succèdent pour ou contre la participation des socialistes au gouvernement est interrompue ; le président du Congrès se lève, vient sur le devant de la scène, enfle la voix pour dominer le tumulte. » Camarades, s’écrie-t-il, c’est aujourd’hui que le Roi, par sa visite dans le Trentin, consacre une injustice, et confirme l’annexion à l’Italie de territoires volés à l’Autriche, En signe de protestation, je donne la parole à un Autrichien : camarades, je vous présente le citoyen Adler. » Et Adler, raide dans ses vêtements noirs, les cheveux blonds soigneusement partagés par une raie impeccable, pâle et grave, commence à parler en allemand. Nait un indescriptible désordre ; non point parce qu’Adler parle en allemand ; non point parce qu’une autre scène passe devant les yeux des congressistes, la vision d’Adler assassinant à Vienne, l’année 1916, le ministre Stürgkh ; mais parce qu’il s’est montré patriote. E stato per la guerra ! Il a été pour la guerre ! Tel est son crime. Pendant vingt minutes, ce sont des cris, des hurlements, des menaces ; des poings se tendent ; on arrête au passage des énergumènes qui se précipitent sur leurs adversaires ; un peu de calme ne renaît que lorsqu’on a fait évacuer deux loges, d’où part une irréductible opposition.

En vérité, ces violences sont factices. Certes, la question qu’on agite ici est capitale, pour l’Italie et pour l’Europe. Il s’agit de savoir si le parti socialiste italien obéira aux injonctions impératives de Moscou ; si, docilement, il expulsera les tièdes, les lâches, les impurs, ceux qui ne veulent pas déchaîner la Révolution ; il s’agit de savoir si la grande vague rouge, qui avait gagné l’Italie et commençait à s’étendre depuis les Alpes jusqu’à la mer, s’enflera pour tout submerger, ou rencontrera d’infranchissables digues. Mais la réponse est par avance donnée. On est décidé à ne pas obéir à Moscou : moins par sagesse, peut-être, que par impuissance. On a déjà banni les communistes : si l’on bannit aujourd’hui les modérés, que restera-t-il ? On essaiera donc d’un compromis. On gardera tout le monde, les extrémistes et les centristes, fussent-ils ennemis jurés ; on