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cas. Je vois combien les temps présents sont difficiles à traverser, et j’en souffre moi-même. Mais j’entrevois des temps meilleurs, et j’en saisis déjà les présages. Comme je crois à la stabilité de la vie nationale italienne, malgré les troubles qui l’agitent encore, je crois à la prospérité économique de l’Italie, dans un avenir qui n’est peut-être pas très lointain.

C’est la conclusion qui s’affirme à mon esprit avec une force accrue, après beaucoup de visites, beaucoup de rencontres, beaucoup de bavardages sous la Galerie, et le déjeuner d’aujourd’hui. Si j’avais la veine épique à la manière des poètes italiens d’autrefois, je chanterais les tables milanaises. Copieuses, abondantes, simples, cordiales, elles font de l’heure du repas, j’ose le dire, la meilleure de la journée. Ne me parlez pas de Rome, insinuent mes amis Milanais : à Rome, dans des salons éclatants de dorures, on vous offre tout juste un verre d’eau. Ici, on sait traiter ses hôtes. Il y a une poésie du risotto, du salame et du grana. On a soin d’entretenir largement la machine humaine, dans la grasse Lombardie, parce qu’on sait qu’elle a un effort considérable à fournir. Dans les pays heureux où l’on dort, la tête à l’ombre et les pieds au soleil, sur les bancs des promenades, les marches des églises, ou les dalles du port, libre à chacun de se contenter d’un plat de macaroni et d’une orange. Ici, une race forte veut une nourriture forte. Nous connaissons dans un faubourg de Milan une auberge qui ne paye pas de mine, une auberge et non pas un hôtel ; le propriétaire, qui veille à ses fourneaux, reste fidèle au confort ancien ; si les vetturini d’autrefois revenaient par miracle en son logis, ils ne trouveraient changées ni la salle à manger ni la cour. Nous nous asseyons, quelques Milanais et moi, autour d’une table de chêne épais, dans une pièce qu’on nous réserve pour notre tranquillité, spacieuse, nue, peinte à la chaux. Ce diner est devenu un rite, comme il convient à des amis qui ont des traditions. Les hôtes sont toujours les mêmes : quelques médecins, quelques professeurs, deux commerçants et un abbé. Celui-ci, qui a pour métier d’écrire dans les gazettes, est l’âme de la compagnie. Il est gai, il est exubérant ; il est bâti en Hercule : quand il entre dans la salle, on dirait un vaisseau de haut bord qui arrive en roulant. Il est plein de pénétration et de finesse ; il a parcouru toute l’Europe, de manière qu’il connaît sa politique internationale sur le bout du doigt. Il ne se fatigue pas en plaisanteries, car il répète toujours