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les mêmes, qui sont toujours accueillies avec le même succès. Mais il abonde en aperçus ingénieux, en idées brillantes, en remarques de bon sens, voire en paradoxes qu’il soutient avec une grande énergie, dans le dialecte milanais le plus authentique. La nappe est mise ; dans les verres grossiers brille un vin des meilleurs crus ; déjà une truite des lacs étale son ventre argenté, et nous attend.

Avez-vous remarqué qu’on n’est jamais si disposé à philosopher sur les malheurs de ce monde que devant une table bien servie ? Je ne manque pas à cette loi générale et j’évoque les années lointaines où l’on vivait en prince quand on disposait de trois cents lires par mois. Mais ce souvenir semble émerger d’un passé inaccessible et prodigieux. Quelle transformation ! Tout est devenu inabordable. A Florence déjà j’avais lu avec intérêt un avis qui appelait l’attention des voyageurs, dès la porte de l’hôtel :

« Conformément au contrat de travail entre la société italienne des hôteliers, section de Florence, et la Fédération des ouvriers des hôtels et des pensions de Florence, les pourboires sont abolis. »

J’avais beaucoup aimé ce début ; un peu moins la suite :

« Sur chaque note sera fixé le pour cent de dix-huit pour cent pour un séjour jusqu’à une semaine ; le pour cent de quinze pour cent pour un séjour supérieur à une semaine... »

Après tout, l’institution n’est pas si mauvaise. Elle supprime toutes ces mains tendues qui harcelaient le voyageur, et donnaient un caractère spécialement douloureux au moment du départ ; si elle rend les domestiques moins servîtes sans les rendre moins obligeants, tant mieux ; et si la bêtise humaine n’ajoute pas à la taxe des pourboires un pourboire ressuscité, j’en louerai le ciel. Mais mon initiation ne s’est pas arrêtée là ; ma note ne s’est pas seulement alourdie de cette charge ; j’y ai vu aussi un supplément pour le chauffage ; et puis une taxe de luxe ; et puis une taxe de tourisme : que d’additions à mon addition ! — Je suis sorti de l’hôtel, je suis entré dans le prochain débit de tabac, j’ai acheté des cigarettes : on m’a demandé un franc cinquante pour le classique paquet de dix macedonia, quarante-cinq centimes pour une boite d’allumettes ; c’est cher ; j’ai trouvé que l’Etat usait sans modération de ses monopoles. — J’ai pénétré chez un libraire, j’ai jeté mon dévolu sur un ouvrage de critique littéraire, au prix de dix-huit lires : le commis, avec un sourire