Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

privilège de dérider les hommes ; j’ai voulu me laisser aller au rire qui apaise et qui détend.

Musco entre en scène et le charme agit. Les Milanais ont gardé une admiration fidèle pour ce méridional, dont ils découvrirent jadis l’exceptionnel talent. Musco par le avec tous les traits de son visage, Musco parle avec ses mains plus qu’avec sa voix ; pas une de ses attitudes qui ne soit pittoresque, pas un de ses gestes qui ne soit expressif. Il communique à toute sa troupe un peu de la verve endiablée qui l’agite lui-même. Le rire fuse ; il jaillit par places ; il gagne tout l’auditoire ; il devient délire.

Mais Musco a mis à son répertoire des comédies à la mode du jour : il s’agit des nouveaux riches. Les nouveaux riches, qui figurent sur la scène, expriment, est-ce la peine de le dire ? les sentiments les plus bas dans les termes les plus saugrenus. Grande joie dans le public. Musco, avec une sobriété, une efficacité qui montrent en lui le grand artiste, campe la silhouette d’un vieux noble Sicilien, Il marchese di Ruvolito, ruiné, réduit aux expédients, expulsé de sa demeure par les nouveaux riches, très digne dans sa misère, et qui triomphe à la fin.

Allons le féliciter dans sa loge ; et puisque les honneurs et la gloire ne l’ont pas changé, et qu’il m’accueille avec force cris et embrassades, interrogeons-le. Si la guerre a eu quelque influence sur ses auditeurs ? Assurément. Non pas sur leur nombre, car il continue à faire salle pleine. Mais voici : les vrais connaisseurs, les gens d’esprit, vont maintenant au poulailler. Ils se cachent, se font tout petits, se sentent honteux. (Musco se recroqueville, relève le col de son habit, rabat son chapeau sur ses yeux.) Les parvenus se prélassent aux fauteuils d’orchestre. (Musco se carre, s’étale, promène autour de lui des regards satisfaits, joue ostensiblement avec une chaîne de montre imaginaire.) Ils applaudissent à contre-sens, ne comprennent que les plaisanteries les plus grosses, rient bêlement. (Et Musco s’affaisse sur mon épaule, tant il rit de ceux qui rient bêtement.) Il faut jouer pour les troisièmes galeries, tout là-haut...

J’ai été entraîné dans un de ces établissements de nuit qui veulent imiter ceux de Montmartre et qu’on appelle ici des « tabarins. » Nous descendons au sous-sol. Un jazz-band éperdu. Quelques couples tournoient. Des artistes d’un music-hall