Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été enlevée à un âge très tendre par d’affreux brigands, traverse de redoutables épreuves. Ses cheveux sont dénoués sur ses épaules ; ils s’accrochent par mégarde à l’épée d’un courtisan ; et l’infortunée jeune fille n’échappe à cette étreinte imprévue que par une série de petits mouvements saccadés que le public suit avec délices. Au moment où le pathétique est pénible à supporter, Gerolamo, l’astucieux valet, intervient et démasque le traître. Il était temps. Gerolamo lance des lazzi énormes, fait en aparté des réflexions qui soulèvent le rire de tout l’auditoire, parle le dialecte le plus savoureux. Il a toujours faim, toujours soif, et toujours peur des coups. Il a le privilège de remuer non seulement les bras, les jambes, la tête, mais même la bouche dans les grands moments. Quelle détente ! Quel bien-être ! Comme il est bon de ne penser à rien qu’à ce spectacle ingénu ! Et de retrouver ici l’Arlequin de la Commedia dell’Arte, quelle surprise ! Je me doutais bien qu’il était immortel.

Mais devant le ballet, mon ravissement n’a plus de bornes. Cela s’appelle De la terre à la lune. Il y avait une fois un jeune prince beau comme le jour, qu’adorait la reine sa mère, et le roi son père encore davantage. Lassé de toutes les merveilles du monde qu’on mettait à ses pieds pour satisfaire ses caprices, il s’éprit de la lune, de la lune qui dorait de sa lumière blonde les jardins royaux. Il se met à genoux, et chante une romance si douce et si tendre qu’on en est tout remué. Il va mourir, s’il ne peut atteindre l’objet de son désir. Alors le roi son père assemble tous les savants du pays, qui sont tout à fait ridicules et ne trouvent aucun remède ; jusqu’au moment où on propose de fabriquer un gros canon, dont l’obus portera vers la lune le Prince Charmant avec Gerolamo. Et j’ai vu l’obus traverser les espaces de l’air, et grimper, grimper courageusement jusqu’à la lune ; j’ai vu des marionnettes lunaires, avec une figure en forme de croissant, danser un ballet en l’honneur des nouveaux venus. Le roi et la reine de la lune font bien quelque difficulté pour accorder leur fille au prince inconnu, tombé de la terre : mais ils ne résistent pas à la puissance de son amour. C’est un beau rêve, qui finit bien.

Même dans la lune, Gerolamo ne se dément pas ; il a faim, il a soif, il a peur des coups ; pourtant il est l’homme de toutes les ressources, et dénoue les situations les plus compliquées. Il appartient à une illustre famille, qui régna au temps de sa