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de multiples barrières pour arriver jusqu’aux gens haut placés, et ils ne prennent pas à votre égard des airs de demi-dieux. Cette vérité générale s’applique tout spécialement à Meda. Ce ministre qui a exercé sur les finances du royaume d’Italie l’action la plus efficace ; ce chef de parti, qui a le droit de traiter d’égal à égal avec les plus puissants ; ce futur président du Conseil, ainsi qu’il est probable, est bien éloigné des faiblesses d’amour-propre.

Je lui rends visite au moment où on lui demande, avec de vives instances, de se rendre comme plénipotentiaire à la Conférence de Washington : il hésite, par une modestie excessive ; et aussi parce qu’à force de s’être occupé des intérêts de l’Etat, il a négligé les siens. Il faut bien qu’il reprenne son métier d’avocat, s’il veut vivre ; le métier de ministre ne nourrit pas son homme. Ce qui domine en Meda, c’est la fermeté, la lucidité de l’intelligence ; c’est la puissance de la raison. Son besoin d’exactitude se trahit de lui-même ; je ne lui pose pas une question sans qu’il la précise d’abord : « En quel sens l’entendez-vous ? Que voulez-vous dire ? » Et puis, ayant ainsi mesuré, limité, clarifié les choses, il répond avec netteté, avec vigueur. Il rappelle les débuts de la démocratie chrétienne, les premiers combats, et que la puissance du parti populaire procède en quelque mesure de ces humbles commencements. Il porte au fascisme, considéré comme phénomène politique, le plus vif intérêt : peut-être parce qu’aimant à voir clair en toutes choses, il ne distingue pas encore suffisamment ce qui s’agite dans ce parti en devenir ; et peut-être aussi, habitué à prévoir les lointains effets des mouvements d’opinion, est-il embarrassé pour mesurer au juste la portée de cet élan juvénile. Ecartant les contingences, et dominant toutes les petitesses, comme les bons géants de la légende dominaient et les villages et les villes et les montagnes qui semblaient si hautes aux frêles humains, Meda évalue et la souffrance présente de l’Europe, et les raisons d’espérer : celles-ci l’emportent. Il y a des hommes en compagnie desquels on ne peut vivre, fût-ce une heure, sans se sentir soi-même fortifié, tant ils sont forts : Meda est de ceux-là Leur saine raison agit comme un charme ; surtout lorsqu’on la sent nourrie par une vaste culture, et humanisée par une profonde bonté : c’est ici le cas.