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dit-il, notre programme sera sensiblement le même que celui des nationalistes, sans que nous nous confondions avec eux. Pour la politique intérieure, nous aurons un programme démocratique. Nous accueillerons peut-être les restes des vieux partis libéraux, sans crainte d’être subjugués par eux, parce que nous resterons les maîtres de choisir.

Il prend un temps, et ajoute :

— Après tout, qu’importe le contenu théorique d’un parti ? Ce qui lui donne la force et la vie, c’est sa tonalité ; c’est la volonté, c’est l’âme de ceux qui le constituent.

Évidemment…


GABRIELE D’ANNUNZIO[1]. — Il a choisi comme retraite, après les heures ardentes de Fiume, un paysage de rêve. Virgile, qui le chanta, y laisse encore errer son ombre. Au milieu de ses collines et de ses montagnes, le lac qui sourit au ciel a l’air d’un miroir enchanté gardé par des géants qui l’aiment. Il se plaît à faire valoir la gamme infinie de ses bleus, bleu tendre, bleu d’azur, bleu d’acier, bleu d’argent. Il est harmonieux sans être fade ; le noir des cyprès et des roches rehausse de tonalités vigoureuses ces bleus délicats. Si, dépassant Gardone et Fasano, on remonte vers le Nord, les montagnes s’escarpent, les pics neigeux apparaissent, les rives se resserrent, les routes bordent des précipices, le caractère grandiose de l’ensemble s’accentue. Les colères de ces eaux paisibles sont redoutables : le vent vient-il à souffler, en quelques minutes les vagues s’enflent, battent les bords qui les repoussent, engloutissent les barques ; et dans les profondeurs du lac, les corps humains s’engloutissent jusqu’aux abîmes inconnus. Il change d’aspect à toutes les heures du jour, ce beau lac lumineux. Ce soir, une buée s’est élevée à sa surface ; le soleil d’automne, pourpre et or, s’est enfoncé dans la brume ; perdue dans le crépuscule et dans le brouillard, la barque qui nous portait semblait glisser mystérieusement vers le pays des âmes, vers le pays des ombres, vers le royaume silencieux et impalpable des Cimmériens. À peine les lumières de Gardone, indécises, jaunâtres, et tremblotantes, nous indiquaient-elles le port et la présence des vivants.

  1. Ces lignes étaient écrites avant l’accident dont Gabriele d’Annunzio a été victime, il y a quelques semaines. Nous lui adressons nos meilleurs vœux de complet rétablissement.