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La villa où le Comandante est attendu à dîner, est de noble apparence. Les gens du XVIIIe siècle finissant, qui l’ont bâtie sur la rive du lac, aimaient les vastes salles aux lignes sobres et sévères. Ils n’entendaient rien au confort, et leurs sucesseurs n’ont pas poussé le respect jusqu’à les imiter sur ce point, il s’en faut. Mais on ne les a pas trahis. On a gardé les fresques à leur goût, où vous voyez de tendres bergers mener leurs brebis au long d’un ruisseau qui serpente ; on a gardé les fauteuils hiératiques, les tables immenses, et, dans un coin, cette harpe. Deux têtes de marbre érigées sur des colonnes de porphyre contemplent de leurs yeux morts la petite société cosmopolite, — Anglais, Italiens, Français, — qui attend avec révérence l’arrivée du Commandant, hôte familier de cette belle demeure.

Je n’oublierai jamais, pour mon compte, qu’il nous a donné un peu de son cœur ; et je me rappellerai toujours qu’il fut avec nous à l’heure suprême. C’est le danger de la France qui l’a transformé, dilettante et sceptique qu’il était, en croyant, en soldat, en chef ; c’est le danger de la France qui a fait surgir de cet incomparable artiste un homme d’action. Sans lui, sans la puissance de son verbe, sans l’effort de sa volonté, la grande flamme qui illumina la conscience italienne aurait malaisément jailli. Il ne fut pas de ces ingrats qui, aimant les plaisirs que leur offrait la France, n’aimaient pas son âme et l’ont trahie : il a compté, au contraire, parmi ceux qui ont voulu lui rendre en sacrifices ses dons des jours heureux. S’il a marqué à notre égard, depuis lors, quelques mouvements d’impatience, c’est précisément qu’il nous chérit toujours, car on ne s’irrite pas contre les indifférents. Il a souffert de ne plus se sentir en harmonie avec nous, et il l’a dit magnifiquement, à sa manière. Il ne manque pas de me rappeler le mot de M. Clemenceau, ce mot qui a blessé toute l’Italie en même temps que lui : — « Fiume, c’est la lune... » — Mais il tient à rappeler aussi tous les liens qui l’attachent à notre patrie, et dont il veut qu’aucun ne soit rompu. Il me parle de la littérature française contemporaine qu’il connaît aussi bien que aucun homme au monde ; de sa nostalgie de Paris, la grande ville, qu’il voudrait revoir un jour ; ne fût-ce que pour y retrouver un incognito relatif, et échapper aux inconvénients d’une popularité qui devient un supplice. Il s’expliquera sans ambages, une fois ou l’autre, sur les différends qui séparent