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nos deux pays il me dit : « Saluez pour moi la douce France... » Pour les Italiens, que ne représente-t-il pas aujourd’hui ? La plus belle tradition de la Renaissance, ressuscitée dans ce joaillier des mots. La gloire des lettres, de tous les tré. sors le plus précieux pour un esprit latin, et qui fait resplendir au loin le nom de la patrie en même temps que celui de l’homme Le tragique poème de la guerre, la boue des tranchées, l’élan des assauts, les vols héroïques. La victoire. Au delà même de la victoire, l’effort désespéré pour assurer à l’Italie nouvelle sa plus grande place au soleil. Lorsque tant d’autres étaient des «. renonciataires, » comme ils disent, Gabriele d’Annunzio n’a pas renoncé

Mais quand on serait Cafre ou Hottentot, quand on ignorerait l’histoire de ces dernières années, quand on pousserait l’esprit de parti jusqu’à lui denier tout mérite, littéraire ou autre, il serait impossible, j’imagine, de n’être pas séduit par sa seule personnalité. Je ne sais quelle force émane de lui, comme si une source d’éternelle jeunesse, d’éternelle vigueur était cachée dans son âme et dans son corps J’ai l’impression d’être sous un charme auquel je ne saurais me soustraire, même si je voulais m’en défendre : ce qu’à Dieu ne plaise ! On raconte l’histoire des politiciens venus de Rome tout exprès pour le convaincre et qui s’en retournent convaincus par lui : je comprends cela. On me dit que devant une foule, encore qu’il ne ressemble en rien au type classique de l’orateur, on penserait entendre un enchanteur, qui la calme, l’excite, la dirige où il veut : je le crois sans peine. Les Parisiens le reconnaîtraient tel qu’ils l’ont vu chez eux ; il ne semble pas avoir vieilli, même à travers l’épreuve de ces rudes années. Il est svelte, mobile, nerveux ; sa voix est vigoureuse et bien timbrée. Il se prodigue dans la conversation, ne la domine pas, prêt à en accepter tous les caprices, à en suivre tous les rebondissements. Il se plaît infiniment à ce jeu délicat. Gabriele d Annunzio, causeur, a tous les genres d’esprit : de la gravité, de la profondeur, de l’érudition sur les plus diverses matières, du lyrisme qui brille tout d’un coup dans une éclatante image ; et non seulement de l’humour, mais de la très franche gaité.

Comme on se rappelle, en le voyant, ce mot d’Alfieri, que la plante humaine croît ici avec plus de force qu’en aucune autre terre ! Quelle individualité puissante ! On dirait qu’il est capable