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I

« J’ai été élevé dans le culte de Vélasquez. J’étais tout jeune à Madrid ; mon père, par les journées radieuses comme ou n’en voit qu’en Espagne, me menait parfois au musée du Prado, où nous faisions de longues stations dans les salles espagnoles. J’en sortais toujours avec un sentiment de profonde admiration pour Vélasquez. Les Menines, le Christ, les Lances hantaient mon imagination. Plus tard, quand il me fut permis de fréquenter les cours de San Fernando, je retrouvai chez mes jeunes camarades d’atelier les mêmes élans d’enthousiasme. Vélasquez était notre Dieu. Nous connaissions ses œuvres par cœur, nous savions comment étaient peintes telle main, telle tête. Le moindre des repentirs si fréquents dans ses œuvres ne nous échappait pas, et nous ne parlions de lui qu’en le désignant respectueusement par son prénom « don Diego, » ce qui, dans notre pensée, voulait dire : « le maître, le maître par excellence, » tout comme les Italiens disent Raphaël ou Michel-Ange... »

Ainsi par le Bonnat, en tête d’un livre jadis consacré au maître par M. de Beruete. Il nous livre ainsi le secret de sa vocation : une impression violente, dans l’adolescence, à ce moment précis qui, selon une théorie de Lombroso, est décisif. Cet impérieux appel le mena tout jeune dans l’atelier de Federico de Madrazzo, alors directeur de l’Académit’, à Madrid. Il y a de cela soixante-douze ans et, au livret du dernier Salon, on peut lire encore, après le nom de Léon Bonnat, cette mention : « élève de Madrazzo, » selon la touchante coutume des vieux maîtres. Ainsi, à la différence de nos peintres formés par l’Italie, surtout par Rome, Bonnat nous est d’abord venu d’Espagne, plus réaliste, plus tenté par les effets violents de lumière et d’ombre, moins adorateur de la ligue pure et de l’arabesque décorative, moins éberlué par la théorie du « Beau idéal » que ses confrères de l’École de Rome. Pourtant dès l’abord, il n’y avait pas entre eux et lui un monde. Mais, peu à peu, la tendance du jeune Bayonnais se précisa. En dépit de Léon Coignet dont il fut l’élève à Paris et de Rome où il fit un séjour, sans avoir eu le grand prix, sa nature le rapprocha de ce qu’on trouve en Espagne plutôt qu’en Italie, — Ribera et les Bolonais exceptés. On peut noter ces coïncidences, ces rencontres : rien