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et parait tout aussi démodé que la précédente vieillerie. Watteau a été démodé, Chardin a été démodé, Fragonard a été démodé. Hier encore, M. Ingres l’était, au point que dans les ateliers et devant la critique des « jeunes » on ne pouvait prononcer son nom. Tout ce qui est fort garde son prestige ou le reconquiert un jour s’il l’a perdu.

Aujourd’hui, les gens qui avaient paru « jeunes » au regard de Watteau, de Fragonard et M. Ingres ne sont plus ni jeunes, ni vieux, car ils ne sont point. Les noms de Colin, Julian, Louis Dubois, Célestin Leroux, Delableau, Lansyer, Georges Prieur, Louise Darru, Amand Gautier, Robert Grahame, Lapostolet, Lobjoy, Mangey, Pinard, Saint-Marcel, Sutier, Viel-Cazal, et en sculpture Schonenberg, ne sont point parvenus jusqu’à nous. Qu’est-ce que ces gens-là direz-vous ? Eh bien ! ce sont quelques-uns et même la plupart des artistes de l’avenir que la critique d’avant-garde saluait au Salon des Refusés, en 1863, et opposait au Salon de l’Institut ou salon des « Pompiers. » Or, dans le Salon de l’Institut, l’on voyait des œuvres de Millet, Corot, Courbet, Théodore Rousseau, Harpignies, Stevens, Achard, Fromentin, Henner, Israels, Jacque, Alphonse Legros, Ziem, Puvis de Chavannes et Fantin-Latour, enfin de Donnat, lui-même, que la postérité, depuis soixante-neuf ans, n’a nullement désavoués. On ne pouvait donc pas étonner, ni intimider le vieux routier par les moyens habituels propres à la critique : l’excommunication au nom des « jeunes », le verdict de l’avenir. Il avait trop vu à quel point l’avenir dément ceux qui parlent en son nom.

Quant aux paradoxes destinés uniquement à ébaubir la foule, ou à se donner le divertissement des mines scandalisées, il ne leur accordait aucune attention, Comme les maîtres de sa génération, comme Corot, comme Millet, comme Rousseau, il prenait l’Art fort au sérieux. Ce n’était pas pour lui un échelon, mais un but. Il n’eût jamais souffert qu’on parlât, à la légère, devant lui de ce qui avait été la joie, mais aussi le dur et passionné labeur de sa vie. Sa collection était un acte de piété. Les dessins de Raphaël, de Léonard, de Rembrandt, de Van Dyck, du Titien, de Michel-Ange, de Dürer, de M. Ingres, les toiles du Gréco, de Goya, du Poussin, de l’École anglaise, les bronzes de Barye, recueillis avec ferveur, durant de longues années, avec le produit de son travail, prenaient, par les offices qu’il leur rendait, quelque chose de sacré.