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Il récitait les litanies des grands peintres, comme un dévot celles de saints. On l’imaginerait très bien se faisant lire Vasari pendant ses repas. Il se déclarait ému rien qu’en prononçant ou en écrivant ces noms : Vélasquez, Van Dyck, Rembrandt... Il se sentait de leur lignée, en communication constante avec eux, et il l’était, à la vérité, non par le talent qui n’est pas comparable, mais par la passion du métier et l’idée directrice. Celui-ci, se disait-il, a su rendre tel aspect des chairs, des muscles, dos yeux, celui-là tel autre, et ce troisième tel effet de lumière ou de relief. Comment ont-ils fait et comment ferai-je ? Il savait que tout est là : rendre un des dix mille aspects de la nature mieux qu’on ne l’a fait jusque là et par un procédé que les autres n’ont pas encore trouvé. Le reste n’est que batelages pour assembler la foule, ou alibiforains. Certes, c’est là si l’on veut, une esthétique bien simpliste et enfantine, mais ce fut celle de tous les grands maîtres d’autrefois et leurs œuvres, nées de cette conception simpliste et enfantine de l’Art, ont apporté plus de joie au monde que les discours amphigouriques de nos esthéticiens.

Dans toutes les modalités de l’Art, dans toutes les Ecoles, il y a ceux qui réalisent et ceux qui ne réalisent pas. Bonnat admirait ce qui était très loin de lui, pourvu que ce fût « réalisé. » Il ne lui suffisait pas qu’on dît : « Je suis inquiet... je cherche ceci... » pour qu’il tombât amoureux d’une œuvre encore aux limbes. Mais, ceci réservé, il était le plus éclectique des amateurs. Même, ce qu’il admirait surtout chez les autres, c’était non pas ses qualités à lui, mais leurs complémentaires. — ce qu’il n’avait su ou pu réaliser. Peintre de la vieillesse, il était ébloui par Lawrence, dessinateur des formes robustes et pleines, il était édifié par la réserve sommaire de Puvis, praticien obligé aux empâtements, séduit par les glacis de M. Ingres. Il admirait encore pieusement la manière sèche et plate des primitifs toscans, les draperies cassées et cannelées des Allemands et des Flamands de la première manière. La peinture claire lui plaisait : il avait chez lui, dans son hôtel de la rue de Bassano, au plus bel endroit de son escalier, le Doux Pays de Puvis de Chavannes ; mais, quand il lui fallut faire de la grande décoration, précisément en face de Puvis de Chavannes, au Panthéon, il produisit de violents effets d’ombre et de lumière, avec des reliefs en trompe-l’œil. Il aimait le calme du Doux Pays et il jeta ses personnages dans