Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/663

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une gymnastique violente et désespérée. Ce n’est pas contradictoire. Il ne disait pas : « Il n’y a qu’une peinture, la mienne. Mais il disait ou plutôt il pensait : « C’est la seule où je pourrai réaliser tant bien que mal mes rêves d’Art. » C’est pourquoi il ne songeait pas à en tenter une autre où il eût perdu ses vertus propres sans en acquérir d’égales en échange. Il aimait donc admirer chez les autres ce que les autres faisaient mieux que lui, plutôt que de solliciter l’admiration des autres pour ce qu’il ferait moins bien qu’eux.

De là son extraordinaire maîtrise dans le domaine étroit qu’il s’était attribué : le relief des figures. Aujourd’hui, on ne donne plus à l’Art ce but. On n’attend plus ce miracle de l’artiste. On lui sait fort mauvais gré, au contraire, d’un portrait qui sort du cadre, vient à vous indiscrètement, vous coudoie... On préfère celui, tout en retrait, qu’il faut aller chercher, interroger en confidence, deviner presque : le portrait de Sa mère, par Whistler, l’Alphonse Daudet, de Carrière, par exemple. Ce sont là deux ordres de plaisir esthétique tout à fait différents. Mais qui peut dire que le second, seul, est digne d’être cherché ? L’autre est négligé ou même méprisé par la jeune Ecole d’aujourd’hui. Cala ne prouve rien pour demain ou après-demain. Qui a vu ressusciter M. Ingres croit toutes les reviviscences possibles, non pas précisément toutes, mais celles de tout ce qui, en son temps, a été vraiment fort. On ne ressuscite que lorsqu’on a été vivant. L’œuvre de Bonnat pourra passer de mode quand le goût qu’elle satisfait aura passé ; elle y reviendra quand il reviendra, comme tout art fortement et entièrement réalisé, quelles que soient la théorie, l’Ecole ou l’Esthétique dont il est sorti.


ROBERT DE LA SIZERANNE.