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ministériel, sérieux, volontiers méditatif, et qui a déjà tracé sa route. Ses premières économies sont employées à un voyage en Europe, où il veut toucher de près les fondations de la nation canadienne. Il va donc en France et en Angleterre. A Londres, il suit assidûment les grands débats qui préparent la réforme du droit de suffrage et l’émancipation de l’Irlande ; à Paris, il est présenté à de notables ministres de la monarchie de Juillet. De ce spectacle d’un régime en transformation, il gardera toujours un respect sympathique pour les institutions parlementaires. On rapprocherait curieusement ses impressions de celles que Montesquieu rapporta d’Angleterre un siècle auparavant.

« Une chose me frappait sans cesse, écrit-il en 1855 dans ses Souvenirs de voyage, c’était l’alliance de la liberté et du privilège, du républicanisme et de la royauté. Je voyais devant moi, une royauté, une aristocratie et une plèbe, dont les fortes racines remontaient à l’origine de la nation. L’aristocratie était puissante et considérée, le peuple nombreux et soumis, le roi regardé comme essentiel au maintien des boulevards qui servent de protection à ces deux grandes et seules divisions de la nation. » Comment ne pas relever tout ce que ces phrases contiennent de spécifiquement britannique et impérial, cinquante ans avant que le mot même d’Empire apparaisse dans l’histoire politique de la Grande-Bretagne ? A ce titre, l’esprit de François-Xavier Garneau n’est pas celui seulement de la génération de Canadiens français qui a marqué de son cachet, clairvoyante plus encore que résignée, l’Union, en 1840, du Haut et du Bas Canada : c’est celui aussi des plus puissants et ingénieux fondateurs de l’Empire, que nous devons nous attacher à bien comprendre, en France, aujourd’hui, pour conserver à la nécessaire amitié franco-anglaise sa pleine vigueur de haute humanité.

Rentré au pays, marié, père de famille, François-Xavier Garneau n’est plus dès lors et ne veut être, à l’abri de discrètes fonctions administratives, que l’historien du Canada. Tout au plus se délasse-t-il, de temps en temps, en écrivant quelques poésies ; mais, qu’il traite de « la Pologne, » du « Rêve du soldat, » du « dernier Huron, » (1838-1840), c’est de préférence au Répertoire national qu’il confie ses rimes ; son arrière-pensée demeure d’illustrer le passé du Canada, d’exalter la fierté