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trop claire évidence que jamais le Gouvernement ni la nation en France n’eurent à fond et à plein le sentiment de la grandeur de l’œuvre que quelques pionniers avaient commencée sur l’autre rive de l’Atlantique, et que des héros y avaient défendue ; on lui marchanda toujours l’existence, on n’eut jamais confiance en son avenir. » Rien n’est plus tristement vrai. Instruisons-nous donc d’abord, en étudiant et en proclamant ce que des ancêtres de notre sang ont su faire, presque toujours par les seules initiatives individuelles, sur les rivages du Saint-Laurent, où le coup d’œil du Saintongeois Champlain devina, en 1608, les chances d’un grand empire.

Les Français en Canada ont exploré et cultivé le sol. Dans l’opinion, souvent les pionniers ont fait tort aux paysans. Ce sont pourtant ceux-ci qui ont posé les plus robustes assises du futur établissement. Le lecteur français demeure de nos jours épris de l’aventure ; il est plus complaisant au « broussard » qu’au planteur, au missionnaire qu’au curé de village. La fondation de Montréal en 1640 fut un épisode des croisades, volontiers célébré dans les paroisses de France ; une plaque la commémore encore, note attardée de vaillance tout idéaliste, en un coin d’une place flanquée de hautes banques et sillonnée de trolleys de tramways ; à quelques pas, la maison-mère des Sulpiciens reste une oasis de recueillement dans la ville bourdonnante. Sous Louis XIV, les gouverneurs et intendants multipliaient les ordonnances pour « fixer les habitants ; » ils frappaient d’amendes les « coureurs de bois, » qui s’enfonçaient dans l’intérieur pour acheter aux sauvages des pelleteries en échange « d’eau de feu ; » le clergé fulminait des interdits contre ces vagabonds, qui ne donnaient évidemment pas les meilleurs exemples de continence. Mais les lettres des administrateurs au ministère parlaient surtout de ces incidents et les correspondances d’édification des religieux exaltaient entre tous les apôtres des sauvages.

Ignoré des officiels, le Canada français de « labourage et pâturage » grandissait pourtant, d’une croissance lente et régulière, de lui-même, parce que Colbert seul et avant lui des Congrégations, pendant quelques années, envoyèrent de l’autre côté de l’Océan quelques familles de ruraux. En 1763, lorsque le Canada, par le Traité de Paris, passa sous l’obédience anglaise, il comptait 63 000 habitants français, pour la plupart